• par Roland Maeseele

    27 mars 2015

     

    Température adoucie, ciel clair, lumineux ;

    Deux tourterelles, perchées, roucoulent, bientôt le nid.

    Premiers papillons, vire-voltant sous mes yeux,

    Rapiette en vue, sur une pierre du mur vieilli.

    Tulipes en boutons, iris, jonquilles, narcisses,

    Branches du cerisier, peu à peu, qui blanchissent .

    Sonnez clairons, battez tambours,

    Fringant, le printemps fait son retour !

     

    Machines agricoles ronronnant dans les champs ;

    Blé, orge, colza, moissons des paysans.

    Courgettes, tomates, haricots verts,

    Temps béni de la récolte, prospère.

    Roses pourpres grimpantes, œillets au parfum enivrant ;

    Mon cerisier arbore ses fruits, robe rouge sang.

    Jouez haut-bois, résonnez trompettes,

    Été, impétueux, cœurs et corps en fête.

     

    Arbres, tons roux et bruns qui s'installent et perdurent,

    Brumes matinales, tamis de lumière, offrandes à la peinture.

    Ramassage des noix, cueillettes des champignons,

    Flambées de cheminée dans les maisons.

    Chasse ouverte, biches, dans les bois, inquiètes, apeurées ;

    Confitures de cerises, mirabelles, préparées.

    Lente complainte des violons, l'automne,

    Long cortège infini de couleurs qui détonnent.

     

    Silhouettes aux branches nues, poudrées de blanc ou pas,

    Sol gelé, feuilles mortes, craquant sous les pas.

    Bonhomme de neige, batailles rangées, écoliers sous le bonnet, ravis ;

    Plantes en hibernation, terres endormies,

    Campagnes désertées, calme, sérénité ;

    Pot de confiture entamé, au petit déjeuner.

    Grattez, grattez, guitares et basses, l'hiver est en faction ;

    Froidure, glace, servent la nature, conduisant à son explosion.


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  • par Jean-Pierre Leguéré

    23 mars 2015

    Appelons-le l’adjudant N, N comme Noémie pour respecter l’anonymat. Ou encore l’adjudant Haine par ce qu’il n’y a pas de raison de fustiger l’ensemble des adjudants de l’armée française. Mieux encore, appelons-le définitivement Haine tout court, parce que ce qui est arrivé est indépendant de son grade mais tient à son choix personnel, comme homme. Haine, donc, est à l’origine de ma première image de la guerre d’Algérie, la première dans le temps, la première aussi de celles qui s’allument quand les cauchemars de la nuit m’entraînent vers cette époque sans gloire.

    C’était le deuxième jour que notre groupe d’appelés était venu rejoindre le camp de Marceau que les algériens appellent aujourd’hui Menaceur, petit village de trois ou quatre cents personnes à l’intérieur des terres à une vingtaine de kilomètres au sud de Cherchell, dans une belle région montagneuse et boisée. Nous n’avions encore vu d’autres ennemis que les punaises qui fréquentaient nos lits de camp. La scène qui suit est racontée au présent de l’indicatif parce que je ne sais pas la vivre comme passée, elle tourne en boucle dans ma vie.

    En fin de matinée, Haine arrive dans la jeep qu’il conduit lui-même. À sa droite celui qui devrait être le chauffeur, de peur d’être éjecté, se contente de s’accrocher au pare-brise ou à son siège. À l’arrière de la jeep, un corps. Haine freine après un virage en force pour s’arrêter à quelques mètres du cantonnement. Il saute à terre, hausse un peu le menton, jette un regard circulaire, un regard qui dit à la cantonade :

    - C’est moi, Haine regardez ce que je rapporte !

    Il se dirige vers le siège arrière de la jeep, prend le corps sous les aisselles, tire un peu pour le sortir à moitié, puis la main gauche sous les épaules, la main droite à hauteur des genoux, il emporte la dépouille et la jette dans le champ voisin. Sur un geste, le chauffeur reprend la jeep pour la garer ; Haine se dirige vers la baraque de commandement.

    Dans le champ, le garçon de mon âge, est déjà hors du temps. Le mince corps semble sans raideur encore, le visage est gris sous une barbe de trois ou quatre jours, les cheveux sont noirs, drus, frisés, les yeux ouverts, la bouche entr’ouverte. Mais la béance, ce sont aussi trois plaies et du sang, l’une sous l’épaule à gauche, l’autre dans le thorax, à gauche aussi, la troisième se situe, plus bas, dans l’abdomen. Interdit, je reste interdit ; deux jeunes appelés viennent me rejoindre. Interdits. À petits pas, nous avons tourné le dos, nous sommes partis ailleurs, nulle part, sonnés.

    Il ne se passe pas un quart d’heure avant que Haine revienne avec une grosse et longue corde. Il s’approche du corps, en arrache la veste et la chemise, défait la ceinture, retire le pantalon. Les sandales sont parties d’elles-mêmes dans la brusquerie des mouvements. Deux tours de corde autour de la poitrine, un nœud puis Haine va chercher la jeep, la met à la distance qu’il juge convenable, saute, accroche l’autre bout de la corde à une sorte de potence à l’arrière du véhicule. Moteur ! La jeep avance lentement, le corps suit ; Haine jette un coup d’œil  et gueule :

    - Ça tient ? Sûr que ça tient ! Putain de crouille, on va te promener !

    C’est un chemin empierré qui monte vers le village. La jeep l’emprunte, le corps tressaute, se déchire dans la poussière. Tout le village, rue après rue, le voit. Les vieux se tassent sur eux-mêmes, regardent le sol, humiliés à jamais ; les femmes se cachent dans leurs voiles, poussent des youyous ; les enfants courent vers leur mère. Sur la placette du village, Haine fait un tour d’honneur, coupe le moteur, descend de la jeep et abandonne là son équipage. Trois hommes assurent la garde, armés de pistolets mitrailleurs.

    Quelques chiens affamés aboient à distance du corps, ils ne voient heureusement pas là pitance. L’inhumain est le fait des seuls humains.


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  • par Jean-Jacques Vollmer

    20 mars 2015

     

    Par un soir sombre et froid de février, je parlais de l'hiver à ma petite fille, qui est dans le printemps de sa vie.

    Vois-tu, la beauté de l'hiver n'est pas de même nature que celle des autres saisons, car l'hiver les contient toutes. L'exubérance du printemps, la maturité dorée de l'été, le flamboiement de l'automne, tout cela existe déjà, à l'état latent, dans le sommeil de l'hiver. Car ne t'y trompes pas, sous le jaune de l'herbe de décembre qu'on dirait pourrissante, dans les branches noircies des arbres de janvier semblables à des squelettes tordus, derrière la mousse verdâtre qui envahit les pierres des murs en février, la vie se tapit, à l'affût. Et si tu fais l'effort d'aller plus loin que l'apparence des choses, c'est bien en hiver que tu sentiras le bouillonnement de la vie qui est là, omniprésente, universelle, patiente.

    Non, me répondit-elle, l'hiver n'est pas beau. Je le sens comme la mort des autres saisons, et pas comme ce que tu dis. Tout s'est arrêté, je me demande si quelque chose va repartir, et cela me fait peur quand j'y pense trop fort. Le cri des corbeaux dans la campagne ressemble à l'oraison funèbre de la nature, et quand ils se taisent, j'ai l'impression que le silence est comme une menace pesante pour ce qui vit encore. La blancheur vide et immense des champs enneigés qui se confond à l'horizon avec la grisaille des nuages bas, la brume qui parfois envahit le paysage comme pour dissimuler les mystères qui s'y cachent, l'air glacial qui te fouette comme pour te transformer en statue de verre, tout donne l'impression qu'un autre monde te guette, menaçant et dangereux.

    Il me fallut réfléchir un peu avant de lui répondre, moi qui suis dans l'hiver de ma vie.

    Si on en croit la science, l'hiver et les autres saisons ne sont que la conséquence de la révolution de la Terre autour du soleil. Mais à l'échelle de l'homme, qui est tout petit, et de la jeunesse, qui découvre le monde, nous ne voyons pas les choses ainsi, nous les ressentons d'abord avant de les penser. C'est pourquoi, même si tu sais bien que le mois prochain le printemps sera là et balaiera toutes tes noires pensées, tu ne peux t'empêcher de croire que l'hiver pourrait ne plus s'arrêter. Mais pour moi, qui ai vu passer des dizaines de saisons, je sais bien qu'il n'en sera rien, et c'est pourquoi je ressens l'hiver comme une promesse et non comme une fin.

    Oui, me dit-elle, tout cela est vrai. Mais c'est uniquement parce que nous sommes là, ce soir, au coin du feu que je t'ai aidé à allumer, une tasse de thé brûlant à la main, à deviser tranquillement. De cette manière, l'hiver est supportable, parce qu'on arrive à l'oublier, c'est comme s'il n'existait pas. Si nous étions dehors, nus et grelottants dans une grotte enfumée, comme nos ancêtres préhistoriques, tu te demanderais sans doute combien de tes enfants seront encore vivants au printemps, au lieu de me parler de la beauté de l'hiver et de la virtualité des saisons.

    Comme elle avait quand même un peu raison, bien que je n'aie pas tort, je ne lui ai pas répondu et nous avons parlé d'autre chose.


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