• par Eliane Chelle

    20 décembre 2016

     

    Notre cuisinier du dimanche,

    Ce matin relève ses manches.

    Pour la fête de sa Guilaine

    Fait sa lotte à l'armoricaine.

     

    Sa cocotte en fonte installée,

    Verse l'huile, trois cuillerées,

    Pose la lotte d'un kilo,

    Épluche dix oignons grelots,

    Une gousse d'ail, quatre échalotes,

    Pendant qu'est colorée sa lotte.

    Pour la flamber et ça ira

    Cinq centilitres de calva,

    Donneront du goût au poisson

    Avant de finir la cuisson.

     

    L'ail, les oignons, les échalotes,

    Mis à la place dans la cocotte,

    Sont rejoints par du concentré

    De tomate déjà délayé,

    Dans un verre moyen de vin blanc,

    Et une pincée de piment.

    Puis enfin sorties d'une boite,

    Pelées et coupées des tomates.

    Après avoir salé, poivré,

    Le tout est mis à mijoter.

    Vingt minutes sont nécessaires

    Puis vingt autres complémentaires

    Pour parachever la cuisson

    Des aromates et du poisson.

     

    Enfin vient l'instant merveilleux

    De savourer le plat goûteux.

    Guilaine et Hugo se régalent

    Dans une communion totale.

     

     


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  • par Eliane Chelle

    20 décembre 2016

     

    Je me promène au bord de l'eau.

    Sur la tête j'ai un chapeau

    Car le soleil est sur ma peau

    Et la brûle comme un fléau.

     

    Descendant le long du coteau,

    Un torrent joue tel un agneau

    A sauter, envoyant son eau

    jusqu'à l'entrée d'un champ ponceau.

     

    Les bignones fleurs du plateau,

    Sur le côté forment un rideau

    A la cascade et à son eau,

    Dédaignant le petit ruisseau

    Où sous le regard d'un corbeau

    Je goutte à la fraîcheur de l'eau.

     

    Son clapotis est un cadeau

    Relaxant sous un arbrisseau.

    Mais l'indomptable chute d'eau

    Dans mon regard est un tableau.

    Je remonte sur mon radeau,

    Saisis ma toile et mon pinceau.

     

    Mon esprit a rejoint Rousseau,

    Et je dessine au fil de l'eau.

     

     


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  • Jean-Pierre Leguéré

    30 novembre 2016

     

    Eau, feu, sculptures

    Les botanistes ne comptent pas moins de cent espèces de ces myosotis qu’on appelle aussi  Ne m’oubliez pas ; le mot souvenir recouvre-t-il une réalité aussi complexe ? Ainsi, l’expression Je me souviens porte-t-elle le même sens que cette autre : il me souvient ? La première me semble-t-il décrit un effort imposé à la mémoire, un acte volontaire, aussi reconstruit que le récit d’un témoin par exemple ou le texte d’une autobiographie. Par contre, la seconde expression, Il me souvient, ne désigne-t-elle pas un souvenir qui s’impose à nous spontanément, une résurgence confuse, chaotique mais prégnante, d’un événement, d’un sentiment, d’une action qui envahit de façon spontanée tout notre être et que réveillent un parfum, une couleur, un bruit, un geste ?

    Ombres, traces, cicatrices ? Il est des souvenirs si vifs, si sensibles que les envisager nous font défaillir. Et puis d’autres qui ne sont que de pieux souvenirs, de meilleurs souvenirs, des bons, des mauvais… Philippe Sollers décrit des souvenirs intenses. Je crois bien que, dans cette classification peut être arbitraire, nous pourrions les ranger avec les « Il me souvient ». Je raconterai ici trois souvenirs intenses, liés à l’eau, au feu, à l’humaine création.

     

    Voilà ce petit matin de fin mars sur le canal du Nivernais où nous naviguons quelques jours en famille entre Clamecy et Chatillon-en-Bazois. Femme et enfants dorment encore. L’envie me prend : me lever avec précaution, partir, les conduire tout dans la douceur jusqu’à la prochaine écluse qui doit se trouver, à petite vitesse, une heure plus loin. La saison hésite : est-elle fin d’hiver, début de printemps ? L’heure hésite : est-ce encore la nuit ? est-ce encore le jour ? Boire le café encore chaud dans la bouteille thermos, larguer les amarres, prendre la barre, laisser chauffer le diesel. Puis plonger lentement dans le brouillard. Les fines gouttelettes de la brume glissent sur le pare-brise, caressent le bois, se noient dans le canal. Le claquement caractéristique du moteur s’étouffe dans l’atmosphère liquide ; sur la rive droite, un village s’effiloche, une lumière jaune sourd à l’étage d’une maison qui s’éveille ; sur la rive gauche, rien — ou plutôt si, les arbres qui se laissent deviner, fûts gris enfouis dans la mélopée des eaux. Interroger les formes déchirées, scruter les panneaux, veiller au changement de chenal, à la profondeur de l’eau, en même temps s’immerger dans les profondeurs obscures, insaisissables, que sont les charmes de l’eau douce… Je me laisse surprendre par cette main qui se pose sur mon épaule, par cette voix chérie qui chuchote à mon oreille : Tu veux du café ? Je n’avais pas entendu Louise monter. Son sourire. Plus loin, un incertaine rayure lumineuse …

     

    Voilà cette fin d’après midi en Sologne, début juillet. Plus tout à fait enfant, pas encore ado. Notre campement dans la clairière près d’un chêne si haut, si large, si rassurant. Le ciel est un nuage sombre, il fait lourd, règne un calme absolu, inquiétant. Viennent les grondements de l’orage au loin. Qui se rapprochent. Puis, les éclairs. Enfin foudre et tonnerre, simultanés. Si violents qu’ils me jettent à terre. Une partie du houppier du chêne est en feu, à terre des milliers de copeaux. Une pluie violente succède à la violence du feu. Nous nous relevons, tout ébaubis, nous filons nous abriter sous la tente. L’image de l’orage pour moi, c’est toujours cette chute brutale et ce long sillon inscrit dans l’écorce jusqu’à l’aubier dans le tronc du chêne, à tout jamais.

     

    Voilà enfin le Nemrut Dagi ! Au Sud-Est de la Turquie, à l’Est de Gaziantep, mai 1974 sans doute. Les touristes alors étaient rares et la population ne les aimait guère, au point de jeter des cailloux sur la voiture. La veille nous avions dormi au village de Karabük dans ce qui paraissait un hôtel avant de s’avérer un bruyant bordel. Qu’importe ! Tout ou presque du souvenir s’est consumé dans ma mémoire mais ce qui reste ne brûlera que dans l’ultime incinération. Une longue et rude marche à la fin de la nuit, bien avant l’aube, sur ce sentier de montagne qui lentement blanchissait pour grimper à plus de 2000 mètres ; et, au sommet, le choc des statues assises des cinq principaux dieux arméniens, fiers face au soleil levant. Leurs têtes gisent à leurs pieds, chacune de plus de deux mètres de haut, encadrées d’un aigle et d’un lion protecteurs. Quand on s’arrache à ces virils visages sculptés dans le calcaire depuis 2000 ans, la vue plonge sur la Syrie, la plaine de l’Euphrate et une partie de l’Histoire universelle.

     


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  • Jean-Pierre Leguéré

    14 décembre 2016

    25 octobre 1632

    Ma chère et bonne amie,

    Je me plains de la Poste et de ses chevaux fatigués, et de ses chaises de poste fragiles, et de ses ribauds de postillons, enfin, des routes trop aventureuses. Il faut quatre jours pour que vos lettres courent le trajet de Paris à Beaubuisson ! C’est trop vous attendre ! Ah que je regrette ce temps, trois ans à peine, où nous partagions les mêmes heures, tout à la fois studieuses, pieuses, et rieuses, chez les sœurs. Tout cela est si proche en même temps que si loin! Nous voilà mariées…

    Imaginez-vous que Monsieur Vincent de Paul est venu prêcher à Rouen hier dimanche. Vous le savez, je figure parmi les premières de ses « Dames de la Charité » appelées pour venir en aide aux pauvres. Nous ne sommes qu’à trois lieues de Rouen, c’est donc tout naturellement qu’il s’est installé chez nous pendant son bref séjour. Quel homme ! Il est partout tout à la fois : on croit Monsieur de Paul Aumônier des galériens, il s’occupe des enfants trouvés ; on l’imagine en train de donner aux pauvres, le voilà qui engrange chez les riches. On croit ce Gascon à Paris, il est en Picardie, ou en Provence ou en Lorraine, il est l’ubiquité personnifiée. Mais surtout, chère bonne amie, quelle énergie, quel don de persuasion, quelle foi en Notre Seigneur ! Quelles qualités !

    Il est l’audace plus que l’ambition, la constance sans la routine, la générosité plus encore que la charité. Je disais hier encore à Monsieur de Beaubuisson : « Ce prêtre-là, un jour, l’Église en fera un saint ! Tout à trac, mon mari m’a répondu vivement, « qu’au lieu d’un saint demain, elle ferait mieux d’en faire un cardinal aujourd’hui ». C’est rire que d’imaginer Monsieur Vincent, en cardinal ! De la pourpre, il connaît les arcanes, tout autant qu’il fuit les prestiges.

    Ne croyez pas qu’il est venu pour la table et le couvert —encore qu’il est fort gai et de bon appétit— non, il voulait m’exposer un nouveau projet. De Paul estime en effet que nous autres, les Dames de la Charité, sommes de grande utilité mais que, issues de la noblesse, nous souffrons trop des obligations de notre rang. Les contraintes familiales et mondaines ne laissent pas, selon lui, d’être des obstacles à notre vocation. Aussi voudrait-t-il nous adjoindre des personnes plus humbles, capables de fournir aux pauvres et aux malades une assistance professionnelle de toutes les heures. Il se propose de les appeler les « Filles de la charité ». Pour les former, il entend fonder une école qui les prépare à la fois dans les services des hôpitaux et pour les visites à domicile. Selon ses propres termes, il les veut « libres, toujours prêtes à tout quitter, même les plus doux exercices de piété, même les oraisons, même la sainte Communion, pour le service des pauvres». Il va falloir triompher de l’opinion publique, des objections du roi et des parlements, sans parler des inquiétudes prudentes des cardinaux. Je voudrais bien que, grâce à vos entrées à la cour, vous puissiez nous aider. Pensez-y, je vous en prie ; je vous en reparlerai bientôt.

    Vous me demandez des nouvelles de ma tante Marie. Je n’ai point envie de vous en donner tant elle m’excède. Elle croit devoir me consoler de la perte de ma chère mère et en même temps voudrait que nous gémissions de concert de la disparition de son mari, mon oncle Alcide, enfin elle quête auprès de moi compensation des tourments que lui infligent les coquineries et indélicatesses de Pierre, son aîné, mon cousin, celui, souvenez-vous, que nous appelions toutes deux « P’tit Beurre » tant son visage était jaune (il l’est encore !). Elle m’étouffe un peu plus chaque jour sous ses froides cajoleries. Je ne la supporte plus.

    Chère et bonne amie, jetez un regard à travers la fenêtre de notre demeure, vous y verrez votre portrait ; jetez une oreille à la porte, vous entendrez qu’on parle de vous chaque jour. Vous ne le devez qu’à votre aimable personne et à l’affection que vous suscitez.

     

     


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  • par Pascal

    23 novembre 2016

    Un soir au retour du travail papa posa son sac. Le sac magique qui lui servait pour téléporter toutes sortes de choses, de la maison vers l'usine, mais aussi de l'usine vers la maison. Cela allait de ses vêtements de rechange et de son casse-croûte à : de la porette pour pote, des objets à réparer, de l'outillage emprunté, du petit bois récupéré, des plans de salade, l'apéro pour fêter son anniversaire avec les collègues, des livres, des cassettes, des pommes, le pain rassis de la cantine pour nos animaux. Ce soir papa se fait très mystérieux, mais je vois bien du haut de mes six ans qu'il a du mal à cacher son plaisir de nous surprendre derrière sa moustache. Le sac lui-même avait décidé d'être contre lui et s'agitait, nous permettant d'imaginer le chiot impatient. Toucher au sac magique m'était strictement interdit et mes mains ne tenaient plus en place.

    • Allez papa montre nous le ! Montre nous le !
    • Dis Papa ! Allez... !

    Papa mimant le magicien qui sort un lapin de son chapeau, ouvrit très cérémonieusement le sac, lentement... Lentement...Mais d'un coup l'animal n'y tenant plus força le passage. Et un porcelet tout rose nous regarda de ses petits yeux étonnés.

    • Et voilà, je vous présente « Copain ».

    Maman n'en croyait pas ses yeux et moi même j'hésitais entre déception et curiosité. J'aurais tant voulu une petite boule de poil. Copain, toujours l'arrière train dans le sac, n'arrêtait pas de regarder autour de lui en reniflant. Il ne semblait pas du tout effrayé. Mais comme je tendais la main vers lui, il fit un petit bond et partit en galopant. Je partis à sa poursuite et me retrouvai face à face avec lui dans le couloir. Nous étions aussi surpris et intimidés l'un que l'autre. Papa arriva derrière moi avec les épluchures de la soupe qu'il me fit passer. Je les posai devant copain qui hésita peu de temps avant d'y plonger son groin. Après avoir tout dévoré en un temps record, Copain émit de petits grognements de contentement.

    • Copain, tu manges vraiment comme un cochon lui dis-je

    Copain s'avança prudemment vers ma main tendue qu'il flaira longuement, puis vers mon visage. Je pouvais maintenant le gratter derrière les oreilles. Ravi, il se laissa rouler sur le dos pour obtenir des caresses sur le ventre. J'étais conquis.

    Nous devînmes inséparables. Copain vif et curieux s’immisçait dans mes jeux. Nous partagions déjeuner et goûter au grand dam de maman. Il raffolait des biscuits et adorait les bonbons : je lui en donnais volontiers sur ma propre ration.

    L'été arrivé, Copain était déjà un sacré gaillard de la taille d'un gros chien et heureusement, papa avait pu trouver à récupérer épluchures et déchets dans des arrières cuisines de restaurants car il était insatiable. Il était aussi infatigable et me relançait constamment, posant le ballon près de moi puis grognant d'impatience. Maman était de plus en plus réticente à le laisser entrer dans la maison, bien qu'il soit parfaitement propre, réclamant pour sortir en cas de besoin.

    L'été passa trop rapidement. Il fallut que je me fasse tirer les oreilles avant d'accepter d'abandonner Copain quelque temps pour des vacances chez grand-mère. Ce n'est qu'à la rentrée des classes que je pris conscience que Copain devenait trop gros et trop brutal pour nos jeux. Il semblait pourtant, lui, être prudent, mais il était clair qu'il ne sentait pas sa force. Et cela ne s'arrangea pas au fil des jours.

    La niche du chien qu'il était censé être, et il était en fait un excellent gardien, étant devenue trop petite, papa avait construit une cabane sommaire mais confortable avec un litière douillette. Avant la fin de l'année c'était devenu un mastodonte qui affrontait la pluie et le froid avec entrain. Papa avoua qu'il lui était de plus en plus difficile de trouver suffisamment de nourriture et nous annonça dans la foulée qu'il avait trouvé pour copain une destination idéale et qu'il allait falloir se résoudre à s'en séparer. Je préférais penser que papa évoquait une éventualité, mais qu'il allait tout faire pour conserver Copain à la maison.

    Le lendemain quand je rentrai de l'école, Copain n'était plus là. Ma colère fut effroyable, je donnais coups de poing et coups de pied à papa, je hurlais et le maudissais. Puis je fus envahi d'une immense tristesse, me réfugiai dans la cabane de Copain, dans son odeur. Par la porte, je pouvais l'imaginer dans le jardin qui m'apparaissait maintenant triste et, je ne m'en étais jamais rendu compte jusqu'à maintenant, totalement ravagé par Copain.

    Le soir au repas, je faisais la tête et refusais de manger.

    • Nous pourrons aller le voir dis-je
    • Ça va être très difficile, car c'est très loin, dit papa... et il crut bon d'ajouter : là où il est c'est vraiment un paradis pour les cochons.

    Je ne me rendis heureusement pas compte de son cynisme extrême. Naïvement, je ne fis pas la relation les semaines suivantes avec la présence de boudin sur la table et l'arrivée d'un certain nombre de grands pots de grès qui contenaient des salaisons, de conserves, de terrines et autres rillettes et ne découvris que beaucoup plus tard les jambons pendus dans le grenier. Je pris alors conscience de l'horrible drame que papa m'avait caché et je lui en voulus longtemps.

    Cet hiver là, l'hiver 54, le froid arriva début janvier et redoubla en février. Les maraîchers se retrouvèrent rapidement en difficulté pour approvisionner les marchés. Une partie de notre récolte de pommes de terre gela dans le cellier. Nous passâmes cet hiver terrible sur les conserves réalisées par maman pendant l'été et celles que nous offrait Copain par son sacrifice. La relative abondance dans laquelle nous nous retrouvions permit à mes parents de venir en aide à un certain nombre de voisins en difficulté.

    Copain entra dans la légende et devint un véritable héros.



    Pour moi aujourd'hui la chanson de Souchon a une résonance particulière :



    Les vaches qu'on aime, on les mange quand même.

    Sans queue ni tête, sans queue ni tête.

    Pas d'chapeau, pas d'braguette,

    Pas d'braguette.



     


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