• Jean-Pierre Leguéré

    5 avril 2017

     

    Dans "Lassitude" de Charles Cros, cette phrase qui éveille en moi tant d’échos :
    « Je trouve que mon âme est comme une maison désertée par les serviteurs. Le maître parcourt inquiet les corridors froids n’ayant pas les clés des pièces hospitalières où sont les merveilles qu’il a rapportées de tant de voyages ».
    Les merveilles rapportées de tant de voyages sont parfois nos livres et le poème de Cros dit bien mon expérience en la matière. Vous en explorez les rayonnages, d’habitude si familiers, aujourd’hui devenus étrangers. Y-a-t-il seulement un titre dont vous ressentez l’envie de retrouver l’amitié ? Vous voilà arpentant en tous sens les rayons qui vous ont offert tant de miel. De gauche à droite, vous commencez par les plus hauts de la bibliothèque, puis de droite à gauche les rayons médians, puis vous faites encore demi tour et vous poursuivez, plié en deux, agenouillé peut être, à la recherche du béni qui ressuscitera la magie perdue… Votre regard glisse de titre en titre, revient en arrière, hésite… Vous ne rencontrez que quelques souvenirs anecdotiques : ce Musil que vous avez promené 25 ans, de vacances en vacances, avant d’oser plonger dans les pages de l’Homme sans qualité, cet Arthur Rimbaud que vous avez tenté en vain d’apprendre par cœur, cet Albert Cohen dont vos proches vous ont offert trois fois Belle du Seigneur, cet exemplaire mutilé de Madame Bovary,  victime d’une intime querelle … Et tant d’autres ! Les voilà, tous, ceux là avec qui vous avez passé tant d’heures émues. Plus aucun d’entre eux ne vous parle. Quête désolée, dénuée d’espoir, dépourvue  de  désir. Le lit d’amour n’est plus que lit de sommeil.

    Les lecteurs ressemblent aux marins d’antan, les yeux fixés sur les étoiles les plus brillantes pour connaitre leur position, choisir leur direction. Des nuages viennent-ils éteindre la nuit, les pilotes sont désorientés, les capitaines désemparés. Quant à vous, vous voilà perdu dans les constellations de livres que vous aviez classés successivement dans l’ordre alphabétique, par genre, ou selon un supposé bon voisinage ou selon vos amitiés du moment, ainsi Flaubert s’est-il trouvé logé, hasard de l’alphabet, à côte de Fitzgerald avant de se regrouper près de Stendhal pour finalement déménager et s’élever quelque temps au rang de livre de chevet. Aujourd’hui, les étoiles sont là mais vous ne les voyez plus.
    À force d’effort, de guerre lasse, un livre que vous croyez aimer d’amour vous cède ; il s’ouvre sur une page que vous connaissez bien : Apollinaire, Alcools, L’Adieu. Vos yeux parcourent ces vers si simples :


    J’ai cueilli ce brin de bruyère
    L’automne est morte, souviens t’en
    Nous ne nous verrons plus sur terre
    Odeur du temps, brin de bruyère
    Et souviens toi que je t’attends

    Rien. Nul tremblement,  nul trouble, pas même un émoi. Juste un regard froid glissant sur des lignes inanimées. Comme si ne restaient que les squelettes des signes, l’âme des mots s’étant enfoncée dans la neige blanche de la page.

    Les livres sont constitutifs de notre personnalité. C’est moi-même que j’ai perdu. Combien de temps le désir de lecture me restera t-il étranger ? L’expérience aidant, je sais qu’il n’y a pas d’autre médecine que le temps. La diète, cher ami, la diète ! Pensez à autre chose, cultivez votre jardin si vous en avez un, faites un voyage, occupez-vous de menuiserie, de peinture, de cuisine et tout cela rentrera dans l’ordre. Le temps du « lire écrire » reviendra…


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  • Tentative de fable à la manière de La Fontaine

    par Jean-Jacques Vollmer

    23 novembre 2016

     

    Un mouton paissait dans un pré,

    Broutant comme ses congénères

    Une herbe rare mais de bon goût.

    Un écureuil vint à passer, qui lui tint ce langage :

    « Que fais-tu là, stupide animal  ?

    Vois, dans le champ d'à côté,

    L'herbe est plus grasse, et bien plus verte,

    En quelques bouchées ta panse remplirais »

    Levant la tête, d'un bêlement le mouton approuva.

    L'écureuil, dans le taillis, le chemin lui montra

    Puis ricanant il s'en alla.

    Le mouton s'en moqua, bombance l'attendait.

    Quelle ne fut donc sa confusion

    Quand il se mit à son repas :

    Ce n'était là herbe mangeable !

    D'un beau vert elle luisait, mais...

    De plastique elle consistait !

    Dans son pré il voulut retourner

    Mais sans son guide jamais chemin ne put retrouver.

     

     

    Vous autres humains, n'imitez pas cet ovidé !

    Jouissez de ce que vous avez,

    Réfléchissez avant de vous aventurer !

    Des apparences il faut se méfier,

    Des beaux parleurs se détourner,

    Et ses neurones utiliser !

     

     


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