• Crimes imaginaires

    par Jean-Jacques Vollmer

    27 Janvier 2015 à 22:28

     

    Premier crime

    Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Pour une fois, elle ne l’a pas oublié, puisqu’elle a cru bon de me faire un gâteau. A priori, c’était un vrai progrès.

    Mais elle n’a pas pu s’empêcher d’oublier que je déteste les Apfelstrudel, avec leurs raisins secs qui collent aux dents, leurs fruits confits mollassons, leurs pommes acides et leur copieuse couche de cannelle germanique. De plus, celui-là était raté, comme tout ce qu’elle fait d’ailleurs.

    Dans un esprit de transparence, je le lui ai dit. Il n’y avait pas de raison de le cacher, puisque c’était vrai.

    Elle s’est mise à crier et à postillonner, comme d’habitude, mais aujourd’hui, le jour de mes soixante ans, elle aurait mieux fait de se taire.

    Le rouleau à pâtisserie était encore sur la table, et je lui ai montré, une fois pour toutes, comment s’en servir.

    Autrement.

     

    Second crime

    Georges et moi, nous partageons le même bureau.

    J’ai du mal à travailler en sa présence, car :

    • il fume comme un pompier, mais quand dehors il fait moins dix degrés, c'est de mon côté qu'il ouvre la fenêtre pour aérer,
    • il se pavane au téléphone des heures durant, surtout avec ses copains, je me demande bien ce qu’ils font,
    • il bombe le torse et prend des airs mielleux chaque fois qu’entre une secrétaire, ce qui m’agace prodigieusement, car en plus elles se mettent à minauder,
    • il me rebat les oreilles de ses soi-disant conquêtes féminines, comme si je n’étais là que pour l’écouter, ce vantard.

    Mais, comme je suis intimement convaincu que les gens sont sensibles aux arguments rationnels et donc capables de changer de comportement pour peu qu’on se donne la peine de leur expliquer tranquillement ce qui ne va pas, je l’ai invité chez moi, en tête à tête, pour un barbecue à la bonne franquette, comptant bien ainsi régler diplomatiquement le problème.

    Cela a été encore pire que d’habitude. Je n’ai pas pu placer un mot, et, outre l’étalage de ses vantardises habituelles, il s’est même permis de critiquer ma manière de faire griller les merguez !

    Trop, c’était trop. Ma fourchette à rôti a quitté les saucisses pour se planter dans sa bedaine proéminente. Comme seul le manche en bois émergeait, et qu'elle pouvait encore servir, je suis allé au garage chercher la pince multiprise pour l’extraire. Puis je l’ai traîné par sa cravate jusqu’au composteur.

    Ma productivité au bureau va augmenter.

     

    Troisième crime

    Mon voisin, avec qui je suis en très bons termes par ailleurs, a un gros chien-loup qui ne cesse d’aboyer.

    Ouah, ouah, ouah, ouah, ouah, …ça, c’est la vieille dame de la maison du haut de la côte qui passe pour aller chercher son pain…

    Grr, grr ouah, grr, ouahgrrarf arfgrr grr ggrr : tiens, le facteur est en avance…

    Wou ou ouh Wou ou ouh : là, ce doit être la chienne d’à côté que son maître promène, ou mon chat qui vient le narguer.

    Je ne vous dis pas le temps que ça dure quand c’est la tortue de ma petite fille qui est de sortie…

    Et j’en passe.  Et ça continue. Et ça recommence.

    Comme ça, cela paraît très gentil, très convivial, on m’a même dit que cela mettait de l’animation dans le quartier. On voit bien que vous n’êtes pas là, comme moi, toute la journée à entendre ces jappements, ces grondements, ces gémissements. Cela fait des mois que je n’arrive plus à faire une sieste tranquille dans le jardin, ou à terminer un sudoku force 3 en moins d’une heure. C’est très pénible, vous devriez vous en rendre compte.

    Je n’ai même pas essayé d’en discuter avec mon voisin, un gros balaise qui mange tout le temps n’importe quoi arrosé de gros rouge, il m’aurait ri au nez.

    Alors, j’ai profité sans vergogne de l’occasion en or qu’il m’a offerte sans le savoir. Il est parti en vacances avec son chien pour quelques jours, et m’a laissé les clés de chez lui pour arroser ses fleurs. La veille de son retour, je suis allé dans sa cuisine, j’ai ouvert le réfrigérateur, j’ai sorti la boîte de Canigou entamée, j’y ai introduit une bonne dose de mort aux rats, et j’ai tout remis en place à côté du pot de rillettes. Ca ne pouvait pas rater.

    Malheureusement, ce gros lard est rentré avec la faim au ventre et un sacré coup dans le nez. Il a mangé tout ce qui restait dans le frigo, sauf les rillettes qu’il a données au chien.

     

    Quatrième crime

    Tous les jours, au rond-point, je suis obligé de laisser passer ce type dans sa grosse BMW X5, qui vient de ma gauche. En fait, je suis sûr qu’il m’attend exprès pour me narguer du haut de sa bétaillère, moi dans ma Fiat 500 du siècle dernier.

    Il a tort de croire que cela va durer indéfiniment.

    Demain, je vais jouer au loto, je gagnerai, et j’achèterai un gros pick-up avec le plus gros pare-buffles que je trouverai.

    Alors, on verra bien qui est le plus fort.

     

    Cinquième crime

    Cela fait dix fois que le type qui distribue ses prospectus à vélo décolle les étiquettes « Non à la publicité » que je m’évertue à mettre sur ma boîte aux lettres, et fourre quand même ses saloperies dedans.

    Bien que je sois un homme calme, ma patience a des limites.

    Alors, hier, je l’ai attendu, souriant et très amical, et je l’ai invité à boire un coup en faisant semblant de m’apitoyer sur son sort.

    Après quelques verres qui l’ont réconforté, il s’est assoupi dans la cuisine.

    Je lui ai fait bouffer le contenu de son sac jusqu’à ce qu’il en crève.

     

    Sixièmes crimes

    De temps en temps, il faut que je tue quelqu’un, parce que ça me soulage.

    Maintenant, cela va bien, mais je n’ai plus beaucoup d’amis…

     

    Septième crime

    J’entre dans la chambre, le marteau à la main. Elle lève les yeux :

    « Qu’est-ce que tu fais avec ça ? »

    « Je vais te tuer »

    « Pourquoi ? »

    « Parce que »

    Le reste n’a pas traîné.

    Toujours donner des explications, c’est pénible à la fin.

     


  • Commentaires

    1
    Eliane
    Mercredi 28 Janvier 2015 à 18:42

    Ben maintenant je ne te verrais plus de la même façon ! ! !

    2
    Roland Maeseele
    Jeudi 5 Février 2015 à 19:38

    Nouvelle facette de ton imagination, un peu caustique... mais savoureuse. J'ai surtout apprécié les histoires plus courtes 4, 5,  6 et 7.

    3
    Mimi
    Lundi 2 Mars 2015 à 22:33

    Parfait. Pendant que l'on se défoule sur le papier , on ne passe pas aux actes....

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :