• L'injonction d'Andy Warhol

    par Jean-Pierre Leguéré

    8 Janvier 2015 à 17:44

     

    Au hasard d’une promenade, nous nous rencontrons, lui et moi, l’autre jour, à Paris, place Beaubourg, à deux pas de l’usine Pompidou, Lui, c’est Andy Warhol lui-même, l’homme du pop’art, mort déjà mais bavard encore. Je le connais mal, certes, mais lui ne me connait pas du tout ce qui ne l’empêche pas de me recommander, avec sa morgue bien connue, en anglais bien sûr :

    — Vous devriez reprendre à votre compte, vous interroger, réfléchir, poursuivre cette réflexion que j’ai à peine entamée pour moi-même : « Une chose que je ne fais plus souvent et que je devrais faire, c’est… »

    Sur la forme, l’énoncé ressemble singulièrement à ces accroches volontairement frustrantes que l’on trouve sur Internet, sur les pages d’actualité de Yahoo. Du genre « Ils ont relevé le défi » ou encore « Ils se ressemblent comme deux frères, mais… ». Ces attrape-gogos sont écrits bien sûr pour agacer la curiosité des chalands et les inciter à découvrir une information ordinairement minuscule. Nul doute, qu’interpellé de cette façon sur Yahoo, le lecteur avide apprendrait quelque chose d’aussi insignifiant que : « Andy Warhol regrette de ne pas se laver assez fréquemment les dents » à moins que ce soit « Andy Warhol regrette de ne pas peindre plus souvent de boites de Campbell’s soup mais il annonce qu’il va s’y remettre ». Cette dernière affirmation paraît vraisemblable, parfaitement cohérente avec ces paroles de l’artiste lui-même: « J’aime les choses barbantes. J’aime que les choses soient exactement pareilles », citées dans les ouvrages de référence.

    Quoi qu’il en soit, assez stupidement j’en conviens, j’ai décidé d’obéir à l’injonction. Le résultat immédiat ne s’est pas fait attendre. Il m’est apparu sous la forme d’un défilé de revendications :

    Pourquoi ne montes- tu plus à cheval ? Pourquoi ne cours-tu plus le 5000 mètres ? Pourquoi ne cours-tu plus après les filles aux yeux d’hameçon ? Pourquoi ne dors-tu plus jamais huit heures d’affilée ? Pourquoi tu… Vous imaginez bien que je l'ai arrêté là.

    — Ça suffit le cahier de doléances ! Je ne vous ai pas convoqué ! Vous savez lire ? Qu’est ce qu’il a dit l’artiste ? Il a parlé de choses que je ne fais plus souvent, ce qui veut dire des choses que je fais encore parfois, ou que je suis encore capable de faire. Il n’a pas parlé de choses dont je suis devenu incapable ! Disparaissez ! Allez me précéder dans le dernier sommeil !

    Le défilé des plaintifs et des tristes a fait demi-tour, chacun d’entre eux déçu de son espérance de revivre une fois au moins.

     

    S’il est une chose avec laquelle je veux renouer, c’est bien de visiter ou de revisiter quelques églises romanes. Ne voyez pas là quelque acte de piété…Non, je ne suis plus guère qu’un agnostique judéo-chrétien mêlé de culture arabo-musulmane. Mais, imaginez-vous nos villes sans cathédrales, nos campagnes sans clochers ? Il me semble à moi que je ne saurais m’accommoder d’un paysage sans âme. Mais par dessus tout, j’aime les églises romanes et je crois les avoir aimées de tout temps. Elles me restent aussi chères qu’aux temps lointains où, chez moi, le plaisir de l’art servait la ferveur de la foi.

    J’en aime les contreforts puissants, les murs épais, les petites ouvertures, les douces coupoles qui me donnent un sentiment de paix, de sécurité ; j’en aime cette lumière diffuse qui mène au recueillement, j’en aime les architectures parfois si désordonnées qu’elles introduisent mystère et confusion ; j’en aime les chapiteaux et leur libre expression naïve, cocasse, humoristique, ou même paillarde…

    Si j’embarque à nouveau dans l’un de ces voyages, j’aurais un regard nouveau : il s’arrêtera particulièrement sur la sculpture avec une prédilection pour les « vierges à l’enfant ».


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