• Les bonnes intentions de Sam mises à mal...

    par Pascal

    13 Janvier 2015 à 09:03

     

    Sam, c'est le nom que donna sa famille d'accueil à cet orphelin. Il errait, livré à lui même dans les décombres de son village après le glissement de terrain résultat de plusieurs jours de pluie soutenue.

    Cela explique certainement chez lui une certaine retenue, une économie privilégiant l'efficacité dans l'expression et la communication.

    L'essentiel passe dans le regard étonnamment dérangeant par son acuité, même quand il exprime avec une douceur infinie le bonheur qu'il a d'être avec vous. Par une série de grognements variés il sait annoncer, approbation, satisfaction, indifférence, mécontentement, colère. Cette dernière est rarissime et uniquement provoquée par la mise en danger d'une personne qu'il apprécie.

    Est ce dû à son passé dramatique ? Il est extrêmement sociable, va au devant des autres, établit rapidement le contact et est tout de suite adopté. Et lors de ces grandes balades dans la nature dont il raffole c'est son jeu préféré : aller vers les autres et les séduire.

    Pourtant il ne paie pas de mine. C'est un bâtard de bâtard, croisement d'un nombre de races indéfinies. Un peu haut sur pattes pour la taille de son corps, le poil hirsute ni court ni long blanc taché anarchiquement de noir, queue courte et très mobile. Sa tête est un mélange indescriptible de fox terrier, cocker, épagneul.

    Il est vif. Douze kilos de muscles au service d'une intelligence remarquable qui lui permet de se mettre en harmonie avec son environnement : patient s'il le faut, joueur si c'est le moment, complètement fou à l'occasion.

    ❄❄❄❄❄❄❄

    Lorsque le nouveau né est arrivé, Sam ne fut pas vraiment surpris. Il avait bien senti depuis un certain temps le changement d'atmosphère et suivi les préparatifs.

    Il ne lui fallut pas longtemps pour choisir son camp : il serait LE protecteur de ce nouvel humain au grand désespoir de Minette qu'il obligea à tenir ses distances. Il faut dire qu'elle avait décidé de se mettre au chaud dans le berceau contre le bébé. Sam qui s'entendait habituellement très bien avec elle, n'eut pas besoin d'être très menaçant pour lui faire comprendre que cela ne se faisait pas. Minette émit un «miaou» provocateur et hautain auquel Sam coupa court par un grognement ferme et sec. Elle se le tint pour dit car elle savait parfaitement que Sam ne baisserait pas la garde.

    A l'occasion de cette initiative, Sam fut reconnu par Olivier et Claire, les parents du bébé, dans la mission qu'il s'était donné : Protecteur. Son panier fut placé au pied du berceau et il ne le quitta plus qu'en dehors des périodes de sommeil du bébé, profitant de la toilette, de la tétée ou des changes pour se dégourdir les pattes, manger et effectuer ses besoins, mais aussi chaque fois que possible effectuer une balade avec Olivier lors de son footing matinal.

    Sam ne le savait pas ; il avait été recueilli plus tard ; le bébé faisait suite à un drame : le décès par «mort subite du nourrisson» du petit Jimmy avant ses six mois. Il ne savait pas à quel point sa présence rassurait Claire. Il ne savait pas ce qu'elle endurait ; cette angoisse permanente qui l'amenait nuit et jour à vérifier la respiration du bébé. Il ne savait pas ce qu'avait essuyé le couple ; leur désaccord sur l'avenir de leur famille qui les avait amenés au bord de la rupture. Il ne savait pas les retours tardifs alcoolisés d'Olivier. Il ne savait pas mais percevait dans les petites choses de la vie journalière cette tension permanente ou tout convergeait vers le bébé.

    Le bébé avait un prénom. Mais, de la même manière que cela se pratiquait avant l'époque récente des progrès de la médecine alors que la mortalité infantile concernait un enfant sur quatre avant l'âge d'un an, Olivier et Claire avait décidé de ne l'appeler par son prénom qu'après la période fatidique de la première année.

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    Une qui avait très très mal vécu tout cela c'est Suzanne, l'aînée de la famille, une brunette de cinq ans aux yeux noirs pétillants, visage mobile et expressif, copie conforme de sa maman.

    Très exigeante, limite capricieuse car adulée par son papa, elle avait vu d'un très mauvais œil l'arrivée de Jimmy ; n'avait retenu de son décès que l'attention qu'on ne lui portait pas. Elle avait subi de plein fouet la dépression de Claire et le déchirement du couple.

    L'arrivée de Sam lui avait permis de se reconstruire. Une grande complicité s'était installée entre eux : Sam était le confident de Suzanne ; secrètement il l'aidait à finir ses plats ; elle ne manquait pas une occasion de le chouchouter : caresses, bisous, friandises.

    Il y avait les courses effrénées dans le jardin, les jeux de balles qui n'en finissaient plus, les folles roulades avec passage synchronisé sur le dos les quatre pattes en l'air, les câlins les léchouilles et les bisous, tout cela au grand dam de Claire que seul le bonheur de voir sa fille réconciliée avec elle-même lui faisait fermer les yeux sur l'état de saleté de Suzanne après ses sorties avec Sam.

    Suzanne savait momentanément être plus calme et Sam avait alors droit au brossage, au coiffage et aux petits nœuds...Il se laissait faire et était aux anges.

    Minette qui se refusait à participer à leurs ébats au jardin venait alors chercher des caresses en donnant de la tête dans la brosse, signifiant j'en veux aussi. Sam lui octroyait de grands coups de langue et souvent les ronronnements de Minette les amenaient à s'assoupir tous les trois, blottis.

    Depuis l'arrivée de Bébé, Suzanne est de nouveau en rébellion et Sam, qui l'a en quelque sorte abandonnée au profit du nouveau venu, paie : elle lui tire les oreilles, la queue, lui donne des coups de pieds, lui crie après, l'accuse de tous les maux. Elle vient même le relancer quand il est de garde dans le panier :

    «Viens plutôt avec moi, il ne va pas se sauver ce bébé, il est nul, il ne sait rien faire, il ne sert à rien».

    La réponse de Sam est un pignement qui traduit le dilemme qui se pose à lui.

    «Sale cabot tu vas me le payer».

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    Il y a une chose à laquelle Sam ne peut résister: un os à moelle du pot au feu de Claire.

    Suzanne a attendu patiemment l'occasion, détourné et mis de côté un os de pot au feu. Choisissant le moment propice où Olivier est au travail et Claire à sa toilette, Suzanne va narguer Sam avec l'os, lui présentant à distance respectable mais suffisante pour que son effluve lui parvienne, puis se sauve à la cuisine. Sam ne résiste pas. Il la rejoint. Après quelques agaceries, elle lui lâche l'os comme à regret: «tiens mon gros, régale-toi».

    Profitant que Sam est totalement absorbé, elle s'esquive et retourne dans la chambre: la voie est libre.

    Quel plaisir d'aller chercher cette moelle merveilleuse dans ce nonos avec sa langue! C'est le paradis des chiens. Certains molosses le broieraient brutalement pour atteindre rapidement le Saint Graal. Sam, lui, est épicurien, prend son temps et, goût et odorat complètement en alerte il déguste béatement.

    Il retourne l'os qui cogne sur le carrelage de la cuisine. Le bruit semble prendre des proportions d'un gong qui ramène Sam à la réalité. La maison est étrangement, totalement silencieuse.

    Horreur, sa mission...

    Suzanne l'a enfermé dans la cuisine. Ce n'est pas un obstacle insurmontable pour Sam même si la porte s'ouvre vers l'intérieur. Il galope maintenant dans le couloir et après un dérapage, il entre dans la chambre.

    Suzanne est allongée dans le berceau sur ce qui semble être un amoncellement d'oreillers et de couvertures provenant du lit d'Olivier et Claire. Elle regarde Sam souriante affichant clairement ses sentiments : je t'ai bien eu.

    Sam repart instantanément au galop vers la salle de bain où Claire est sous la douche. Les aboiements furieux de Sam la terrifie : «Sam qu'y a-t-il ? ». Il est déjà reparti et elle le suit sans même fermer l'eau de la douche et s'essuyer. Dans la chambre, Suzanne n'a pas bougé. Claire l'attrape sèchement, la met debout, vide précipitamment le berceau.

    Inquiet, Sam saute et tourne autour se sachant responsable de se qui vient d'arriver.

    Claire a le bébé dans les bras. Il ne respire plus mais son cœur bat encore. Comme un robot elle le pose sur le lit et pratique la respiration artificielle. Il faut peu de temps pour que les petits poumons remplissent à nouveau leur office. Clair le prend dans ses bras et s'effondre. Elle pleure à chaudes larmes: «il est costaud notre bébé».

    Sam jappe de contentement, son intervention rapide a permis d'éviter le pire.

    Le bébé opportuniste s'est emparé du sein contre lequel Claire le tient et tète goulûment.

    Suzanne qui jusque là n'avait absolument pas bougé, se jette sur sa mère en criant :

    «Maman, maman j' voulais pas faire ça, j' voulais pas».

    «Calme toi ma Suzie».

    «Mais ce bébé : il te mange tout entière !».

     


  • Commentaires

    1
    Mimi
    Lundi 2 Mars 2015 à 22:24

    Très belle histoire. Nous connaissons tous l'intelligence des animaux ! Mais que devient Suzanne ? J'attends avec impatience la suite car j'aimerai savoir comment elle va sortir d'une telle situation .(confusion des sentiments...)


    Pas facile de se sentir mal aimée

    2
    eliane
    Samedi 11 Avril 2015 à 17:35

    C'est chouette,  les bébés et les chiens jouent beaucoup sur ma sensibilité !

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