• Nadine Foissotte

    16 juin 2023

     

    De l’azur éblouissant, le soleil largue depuis l’aube ses vagues de chaleur sur la vigne qui s’en repaît avec gourmandise. Les cœurs vert tendre agrippés aux ceps polis par les ans sont immobiles, les juvéniles grappes tendent leurs raisins vers cet astre bienveillant.

    Sur le chemin sinueux au bas du versant, les cailloux roulent sous les pas, la terre calcaire, nourricière et desséchée, exhale ses parfums subtils et indéfinissables. Celle-là même, qui dans deux mois, peut-être, collera aux bottes rendant épuisantes les vendanges.

    Les yeux s’égarent vers les rayures parfaites des plants alignés et impeccablement taillés. Sur le coteau opposé, les cultures de céréales exhibent leurs estivales couleurs formant une surprenante palette d’assemblages géométriques.

    Une route venue de nulle part serpente de calvaire en calvaire et mène à un village aux rues en pente ponctuées de toits rouges ou bruns, aux maisons parées de tonneaux débordant de pourpres géraniums.

    Pas un bruit ne vient rompre le calme de cet après-midi d’été, l’on entend seulement le tintement des cloches qui sonnent les heures et les pas fatigués d’une vieille femme qui chemine vers le cimetière.

    Une bienheureuse léthargie s’installe, alors, le temps semble immuable dans ce coin de Champagne.

     


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  • Nadine Foissotte

    15 avril 2015

     

    Par un beau matin doux et ensoleillé, Hélène, sûre d’elle et de ses quinze ans prometteurs, ses cheveux noirs brillants tirés et tressés, chaussée de ses sandales de cuir brun, avance fièrement d’une démarche légère le long du chemin caillouteux. Sur la colline face à elle, se dresse le Parthénon, temple d’Athéna, déesse de la ville qu’elle vénère. Le panier qu’elle tient sur la hanche droite est empli des légumes qu’elle vient de récolter pour aller les vendre au marché.

    Le zéphir, ce petit vent d’ouest coquin et complice, disperse les fleurs, soulève le chiton de lin beige ceint d’un simple cordon de laine, moule le corps parfait et dévoile les cuisses de la jeune fille pour le bonheur des jeunes sportifs qui s’entraînent dans les prés alentour pour les jeux de l’An 285. Sans en avoir l’air ils lorgnent du côté de la jeune fille.

    Elle, consciente des regards admirateurs, respire à pleins poumons l’air parfumé et agréable du printemps et en dépit des craintes qu’elle ressent, son père ne va-t-il pas la marier à un vieux voisin commerçant, elle ne peut s’empêcher de penser que chaque jour grâce au Dieu Eole, maître de tous les vents et à Zeus, Dieu de l’Olympe qui voit tout et connaît tout, qui commande le temps qu’il fait, elle vit, respire, travaille, chante, danse…

    Un battement d’ailes la tire de ses pensées, dans l’azur du ciel, une mouette gracieuse rejoint le port du Pirée…

    ***

    C’est son anniversaire aujourd’hui 30 novembre, elle a trente neuf ans et se presse sur le pont qui traverse la rivière Zann ; Le ciel est bas, gris, de gros nuages courent à l’horizon ; le vent bienfaiteur qui s’engouffre dans les toiles, fait bruisser les ailes des moulins. Ils sont près de six cents dans la région, le vacarme est parfois assourdissant.

    Moulins à huile, à papier ou à moudre, mais aussi à scier le bois pour la construction des bateaux, à pomper l’eau des polders, à émonder l’orge ou le riz en provenance des colonies… Ses ancêtres hollandais ont depuis longtemps déjà maîtrisé l’énergie éolienne .

    Dame Hélène est l’opulente épouse d’un riche meunier. Courbée sous la pression des rafales, sa coiffe blanche solidement fixée sur sa chevelure blonde séparée par une raie au milieu, elle chemine avec peine. Le vent du Nord s’engouffre sous le long manteau noir et laisse apparaître sa belle robe de laine bleue agrémentée d’un plastron travaillé de dentelle et de soie.

    Elle est heureuse Hélène, deux beaux enfants, un garçon et une fille en bonne santé, un mari dont les affaires prospèrent en cette année 1652 ; il a donc décidé il y a peu qu’il serait de bon ton de brosser leurs portraits. C’est un jeune peintre qui a été chargé du travail, elle pose tous les après-midi pour lui, il est beau et drôle, elle n’est pas insensible à ses charmes…

    Le moulin et son foyer chaleureux apparaissent au détour de la route, un bruissement d’ailes léger la frôle, une mouette curieuse vient se poser à ses pieds et semble l’observer…

    ***

    Rien n’avait laissé augurer un tel déchaînement de la nature. Eole avait-il donc désobéi à Zeus ? Typhon le monstre se réveille-t-il ?

    Il est six heures du matin, aucun passant dans les rues de la petite ville, de rares voitures conduisent leurs passagers vers leurs occupations ; le grand sapin illuminé de la place renvoie ses luxuriantes couleurs sur les vitrines des magasins encore fermés.

    C’est une année très particulière qui s’annonce, la dernière du 20e siècle : les informaticiens annoncent les pires catastrophes pour le 1er janvier, un « bug » sans précédent nous est promis, les ordinateurs qui régissent dorénavant nos vies n’ont pas été programmés pour gérer l’an 2000 !

    Les médias ne parlent que de ça et du pétrolier Erika qui a fait naufrage en ce début de mois de décembre et qui, depuis l’avant-veille de Noël, déverse sur les côtes bretonnes d’infâmes boulettes noires, transformant les incessants va-et-vient de l’océan en marée noire. La météo est passée au second plan. Nulle alerte ne présage ce que la nature concocte.

    Oui, vraiment tout est calme en ce lendemain de fête, dans la maison qui a retrouvé sa tranquillité après les agapes de Noël. Mamouna, c’est ainsi que l’appellent ses petits enfants, est réveillée déjà depuis quelques minutes lorsque les premières rafales de vent font claquer un volet mal fermé, s’engouffrent avec énergie dans les grands arbres du parc.

    Le monstre venu de l’Atlantique avance rapidement, arrachant sur son passage tuiles et antennes, déracinant des arbres, avalant sans difficulté toitures des dépendances et poteaux électriques. Les bourrasques provoquent un bruit épouvantable, elles s’enroulent, sifflent, claquent autour des habitations qui tremblent, provoquant la peur de leurs occupants rassemblés et serrés les uns contre les autres, attendant la fin de ce cataclysme.

    Mamouna est seule, elle fait les cent pas entre la cuisine et le salon, terrorisée par la chute du grand sapin planté il y a tout juste vingt-cinq ans. Il s’abat souplement sur la maison grâce à ses amples branches épineuses.

    La tempête ne dure que peu de temps, elle laisse derrière elle des morts et des dégâts considérables. La vieille dame se risque enfin dehors et ne peut que constater la désolation autour d’elle. L’antique maison située au dessus, en haut de la colline n’a plus de toit, partout les arbres sont couchés, racines en l’air ; des débris jonchent le sol : tuiles, tôles, papiers et cartons, objets de la vie quotidienne arrachés à leur emplacement d’origine. La caravane du voisin est renversée… Un spectacle apocalyptique !

    Elle s’inquiète pour la première de ses petites filles qui attend un bébé et dont la naissance est prévue prochainement. Pas de téléphone et bien sûr plus d’électricité. Les heures s’allongent dans l’attente des nouvelles. Enfin ses enfants arrivent, inquiets eux aussi. Vivants, ils sont tous vivants. Maman, tu es arrière grand-mère, une petite Hélène est née ce matin durant la tempête.

    Un cri rauque et sonore, comme un cri de joie, venu d’en haut leur fait lever la tête, une mouette rieuse traverse le ciel et poursuit son chemin…

     


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  • Nadine Foissotte

    2018

     

    J’aime par-dessus-tout fouler silencieusement le sol encore boueux de la dernière pluie où les feuilles de l’hiver dernier n’en finissent pas de se décomposer et collent aux semelles de mes bottes, mais peu m’importe, trop occupé à observer avec mes jumelles deux fauvettes qui bataillent pour un vermisseau, puis s’envolent.

    Leurs chants résonnent longtemps jusqu’au bout de cette étroite et longue allée bordée de vieux chênes qui supplantent les plus jeunes, petits mais vigoureux cherchant eux aussi leur part de lumière. Emu par la beauté de la nature, je continue à marcher l’esprit en éveil, respirant de tous les pores de ma peau la forêt. Ici  l’eau stagne sous les feuilles d’un fossé, toute une vie y grouille : des insectes, des vers, des crapauds  qui se réveillent de leur hibernation, là des aubépines offrent au timide soleil leurs éphémères fleurs blanches.

    J’avance toujours, lentement, l’œil perçant, toujours en alerte et là, presque sous mon pied, une vipère lovée sur son lit de mousse dresse une tête menaçante vers moi. D’un geste rapide et précis, je lui maintiens la tête à l’aide de mon bâton, puis la laisse partir…

    Soudain dans la forêt profonde, je tends l’oreille ; Il me semble entendre un bruit de moteur.

    Vingt-huit jours déjà que je vis seul et reclus au fond de ces bois immenses ; le  vacarme et la fureur des hommes ne me manquent pas, ne dérivant pas d’un iota de mon projet, j’arpente du matin au soir les fourrés, avec une précision méticuleusement mise au point.

    Je respire à plein poumon m’imbibant des odeurs de champignons, d’humus, des printanières primevères, des jacinthes sauvages au bleu et au parfum enchanteurs et des frêles anémones. 

    J’aime me nourrir de ce silence, de ces parfums, de ces bruits furtifs. Pourtant si la présence d’un être humain ne me manque pas, que ne donnerais-je pour sentir contre mes jambes se frotter mon chat « Scoubidou » laissé à des amis le temps de mon expédition. Sans parler d’un vrai repas, je me nourris depuis des semaines de fraises des bois, d’herbes, de champignons et de petits gibiers pris au collet. 

    Surtout ne pas se laisser submerger par la nostalgie. Tenir coûte que coûte et aller au bout de mon projet.   

    Tout au long de cette journée, j’explore, je cherche avec application la preuve qui me manque pour aller au bout de mon plan.

    La nuit venue, je rejoins ma tanière, une simple tente « canadienne » à l’équipement spartiate : un duvet, une couverture, un petit réchaud et des allumettes, une vieille casserole, du café soluble, quelques bidons d’eau potable, des vêtements dans un vieux sac à dos, le tout dissimulé par des branchages.

    Je m’y sens bien et en sécurité.

    29ème jour, je déplace ma canadienne et pars à nouveau à la  recherche de la preuve de leur forfaiture.

    Ces bois, je les connais depuis que je suis enfant, ils appartenaient à une famille qui les conservait tout en en prenant soin ; le dernier héritier a  décidé de les vendre à un promoteur qui malgré les promesses de les préserver, projette  d’en faire un club de vacances pour y accueillir jusqu’à un millier de touristes.

    Et je cherche, je cherche les bornes qui vont délimiter le début de la construction, je dois les trouver, les répertorier et intenter une action en justice pour protéger la vie qui fourmille ici.

    Encore une journée infructueuse !

    30ème jour, la journée a passé comme une fusée, un peu découragé, je pense que ce sera pour demain ; Ce doit être pour demain !  Je m’étends, l’espoir toujours chevillé au corps.

    Le bruit du marteau sur l’enclume me réveille… Mon père qui comme à son habitude, levé aux aurores, est déjà au travail à la forge…. Il tape, il tape avec force et ça cogne au même rythme à mes tempes… j’ai froid… mes pensées sont incohérentes, l’image de mon père…mon père décédé depuis si longtemps…. Un cauchemar, c’était juste un cauchemar… Mais, le bruit s’intensifie… 

    Enfin sorti de mon sommeil, je comprends, ils sont là, j’étais prêt du but, mais ils sont là avec leurs tronçonneuses, leurs énormes engins de chantier…

    Et ils abattent…

    Et ils creusent…

    J’entends sangloter les arbres que l’on déracine, j’entends geindre les fleurs et frissonner de peur toute la faune invisible de la forêt…

    Et mon cœur pleure sur mon rêve brisé


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  • par Nadine Foissotte

    16 mai 2020

     

    Il éclate avec une fureur sans égale

    Feu rougeoyant, ardent et ravageur  

    Dans tout votre être, il s’empale

    Attaque sans pitié votre cœur

    Le broie, le lamine et déloyal

    S’éteint, laissant cendres et douleur

     

    Il crépite dans la cheminée…

    Les flammes dansent joyeusement

    Alors que derrière les vitres gelées

    Le froid étreint le village endormi

    Une douce chaleur nous envahit

    Le cœur se desserre doucement.


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  • Nadine Foissote

    20 novembre 2019

     

    la perte

    le deuil

    l’absence insupportable

                la chaleur de l’amitié

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

     

    le canot

    les vagues

    l’eau engloutit les corps

                SOS Méditerranée reprend la mer

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

     

    l’humiliation

    le harcèlement

    le viol

              génération me too

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

     

    le mensonge

    la manipulation

    Trump, Johnson, Erdogan

                et Mandéla, Obama, Malala *

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

     

    réchauffement climatique

    pollution

    gâchis

                les enfants se mobilisent

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

     

    la couleur

    la religion

    la haine de l’autre

                Ami donne-moi la main

     

    Une étoile a souri

    La terre continue de tourner

                                                                                    * Prix Nobel de la paix

     


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