• Revendications

    par Nadine Foissotte

    1er mars 2017

     

    C’est déjà son premier aller et retour ce matin. Mais qu’importe la météo est clémente, le soleil déjà chaud, pas de vent, pas de pluie… le temps idéal pour effectuer son travail dans les meilleurs conditions. Elle vient de traverser un magnifique champ de colza aux fleurs rayonnantes et enivrantes ce qui l’a mise de bonne humeur. Elle approche de son lieu de livraison, un inhabituel bourdonnement monte du numéro 15 où elle est censée décharger.

    Le brouhaha et l’effervescence qui l’accueillent sont ahurissants :

    • Pourquoi devrais-je attendre aussi longtemps pour progresser, femme de ménage ça suffit ! J’ai bien fait mon travail, je me suis formée, maintenant je veux une promotion.

    • Qu’est-ce que je dirai moi rétorque une plus âgée, la fabrication à la chaîne du matin au soir, pas de pause, ça suffit !

    • Et les cadences infernales pour nourrir tout le monde à la cantine, c’est plus possible.

    Les réclamations fusent de partout, des voix s’élèvent de plus en plus fortes :

    • A notre époque, tu crois quoi, gardienne c’est éreintant, toujours aux aguets, contrôler les entrées et sorties, repérer les intrus… te plains pas !

    • Ah bien sûr, toi toujours la meilleure … la maintenance, vous y pensez à la maintenance… grâce à qui elle fonctionne la ventilation ?

    • Vous me faites bien rire toutes… et les approvisionnements, ça vous parle ? Toujours sur la route, des allers et retours incessants de plus en plus loin, la pollution, les accidents… Z’êtes bien au frais, vous, dans l’atelier… pensez-pas aux autres qui s’coltinent le sale boulot !

    • Bah toi, t’es bien payée, t’es en fin de carrière, bientôt la retraite, t’as pas à te plaindre !

    • Ah tu crois ça… et l’espérance de vie ? J’ai bouffé de la pollution tout au long de ma carrière. Je vais en profiter de ma retraite à ton avis ?

    La révolte gronde. L’ambiance est morose, le moral au plus bas.

    Les effectifs diminuent d’année en année. La faute à qui, la faute à quoi : l’homme qui par souci de productivité et de surexploitation laisse notre joli petit monde aller à vau-l’eau ?

    Pourtant dehors le temps est exceptionnellement beau et chaud. Le printemps a réveillé la nature, le délicat parfum sucré des primevères parvient à supplanter celui des violettes qui, allez savoir pourquoi, ont perdu beaucoup de leur savoureuse fragrance. Les bleus myosotis, les pensées contemplatives, les tulipes multicolores, l’attirant lilas, blanc ou mauve, les gracieuses et lumineuses jonquilles et les narcisses majestueux, tous s’accordent et embaument pour offrir au petit peuple un semblant de consolation.

    Ca ne suffit plus aux courageuses ouvrières… Les chefs s’en mêlent et veulent rétablir l’ordre.

    • Quelles sont exactement vos revendications demandent-t-il d’un ton docte, un tantinet supérieur.

    • Regarde celui-là qui fiche rien de la journée, c’est facile pour lui… marmonne une gardienne, un peu plus remontée que les autres.

    • Nous voulons des conditions de travail meilleures, un environnement propre et une sécurité renforcée sur le lieu de travail.

    Un bruissement d’approbation s’élève de la foule des ouvrières agglutinées les unes contre les autres, identiques et perdues dans la masse de leur uniforme à rayures.

    Bien ancrés dans leurs habitudes, les chefs se concertent, constatent qu’ils ne peuvent gérer la situation seuls et décident d’envoyer l’un deux rapporter au patron. De sa démarche lourdaude, il rejoint donc celle, puisqu’il s’agit d’une patronne, qui, en dépit de son poste élevé, fournit du matin au soir, un travail indispensable au bon fonctionnement de la fabrique.

    Bien que toujours nerveuses, les ouvrières attendent avec patience le résultat des négociations, reprenant par habitude, ici et là, le travail qui ne peut attendre.

    Quand soudain… alerte au feu… La fumée envahit l’espace, le moindre recoin est envahi par l’odeur âcre…. et déclenche une peur instinctive et ancestrale chez chacune d’elles.

    Elles rejoignent avec hâte leur poste et se gavent de sucre, comme pour enlever le stress…

    Eh oui, on les enfume…et elles se gorgent de miel chacune dans leur petite alvéole, elles se désolidarisent et ne peuvent plus ni attaquer, ni se rebiffer…. L’homme prélève l’inestimable trésor accumulé avec tant de peine par les précieuses travailleuses et parfois même change la patronne –enfumée elle aussi- avant la fin de son contrat, s’il n’est pas satisfait de son travail !

    Le plus fort a gagné cette fois-ci. Mais la prochaine fois, qui sait ?

    Fin des revendications pour la ruche numéro 15.

     

     

     

     

     

    La hiérarchie :

    La patronne : la reine des abeilles

    Les chefs : les faux-bourdons

    Les cantinières : l’abeille nourrice

    Les ouvrières à la chaîne : l’abeille architecte

    Les ouvrières maintenance : l’abeille ventileuse

    Les ouvrières approvisionnement : l’abeille butineuse

    Les femmes de ménage : l’abeille nettoyeuse

     


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