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J'ai fait un rêve...
Nadine Foissotte
2018
J’aime par-dessus-tout fouler silencieusement le sol encore boueux de la dernière pluie où les feuilles de l’hiver dernier n’en finissent pas de se décomposer et collent aux semelles de mes bottes, mais peu m’importe, trop occupé à observer avec mes jumelles deux fauvettes qui bataillent pour un vermisseau, puis s’envolent.
Leurs chants résonnent longtemps jusqu’au bout de cette étroite et longue allée bordée de vieux chênes qui supplantent les plus jeunes, petits mais vigoureux cherchant eux aussi leur part de lumière. Emu par la beauté de la nature, je continue à marcher l’esprit en éveil, respirant de tous les pores de ma peau la forêt. Ici l’eau stagne sous les feuilles d’un fossé, toute une vie y grouille : des insectes, des vers, des crapauds qui se réveillent de leur hibernation, là des aubépines offrent au timide soleil leurs éphémères fleurs blanches.
J’avance toujours, lentement, l’œil perçant, toujours en alerte et là, presque sous mon pied, une vipère lovée sur son lit de mousse dresse une tête menaçante vers moi. D’’un geste rapide et précis, je lui maintiens la tête à l’aide de mon bâton, puis la laisse partir…
Soudain dans la forêt profonde, je tends l’oreille ; Il me semble entendre un bruit de moteur.
Vingt-huit jours déjà que je vis seul et reclus au fond de ces bois immenses ; le vacarme et la fureur des hommes ne me manquent pas, ne dérivant pas d’un iota de mon projet, j’arpente du matin au soir les fourrés, avec une précision méticuleusement mise au point.
Je respire à plein poumon m’imbibant des odeurs de champignons, d’humus, des printanières primevères, des jacinthes sauvages au bleu et au parfum enchanteurs et des frêles anémones.
J’aime me nourrir de ce silence, de ces parfums, de ces bruits furtifs. Pourtant si la présence d’un être humain ne me manque pas, que ne donnerais-je pour sentir contre mes jambes se frotter mon chat « Scoubidou » laissé à des amis le temps de mon expédition. Sans parler d’un vrai repas, je me nourris depuis des semaines de fraises des bois, d’herbes, de champignons et de petits gibiers pris au collet.
Surtout ne pas se laisser submerger par la nostalgie. Tenir coûte que coûte et aller au bout de mon projet.
Tout au long de cette journée, j’explore, je cherche avec application la preuve qui me manque pour aller au bout de mon plan.
La nuit venue, je rejoins ma tanière, une simple tente « canadienne » à l’équipement spartiate : un duvet, une couverture, un petit réchaud et des allumettes, une vieille casserole, du café soluble, quelques bidons d’eau potable, des vêtements dans un vieux sac à dos, le tout dissimulé par des branchages.
Je m’y sens bien et en sécurité.
29ème jour, je déplace ma canadienne et pars à nouveau à la recherche de la preuve de leur forfaiture.
Ces bois, je les connais depuis que je suis enfant, ils appartenaient à une famille qui les conservait tout en en prenant soin ; le dernier héritier a décidé de les vendre à un promoteur qui malgré les promesses de les préserver, projette d’en faire un club de vacances pour y accueillir jusqu’à un millier de touristes.
Et je cherche, je cherche les bornes qui vont délimiter le début de la construction, je dois les trouver, les répertorier et intenter une action en justice pour protéger la vie qui fourmille ici.
Encore une journée infructueuse !
30ème jour, la journée a passé comme une fusée, un peu découragé, je pense que ce sera pour demain ; Ce doit être pour demain ! Je m’étends, l’espoir toujours chevillé au corps.
Le bruit du marteau sur l’enclume me réveille… Mon père qui comme à son habitude, levé aux aurores, est déjà au travail à la forge…. Il tape, il tape avec force et ça cogne au même rythme à mes tempes… j’ai froid… mes pensées sont incohérentes, l’image de mon père…mon père décédé depuis si longtemps…. Un cauchemar, c’était juste un cauchemar… Mais, le bruit s’intensifie…
Enfin sorti de mon sommeil, je comprends, ils sont là, j’étais prêt du but, mais ils sont là avec leurs tronçonneuses, leurs énormes engins de chantier…
Et ils abattent…
Et ils creusent…
J’entends sangloter les arbres que l’on déracine, j’entends geindre les fleurs et frissonner de peur toute la faune invisible de la forêt…
Et mon cœur pleure sur mon rêve brisé
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