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L'hiver aux deux visages
par Jean-Jacques Vollmer
20 mars 2015
Par un soir sombre et froid de février, je parlais de l'hiver à ma petite fille, qui est dans le printemps de sa vie.
Vois-tu, la beauté de l'hiver n'est pas de même nature que celle des autres saisons, car l'hiver les contient toutes. L'exubérance du printemps, la maturité dorée de l'été, le flamboiement de l'automne, tout cela existe déjà, à l'état latent, dans le sommeil de l'hiver. Car ne t'y trompes pas, sous le jaune de l'herbe de décembre qu'on dirait pourrissante, dans les branches noircies des arbres de janvier semblables à des squelettes tordus, derrière la mousse verdâtre qui envahit les pierres des murs en février, la vie se tapit, à l'affût. Et si tu fais l'effort d'aller plus loin que l'apparence des choses, c'est bien en hiver que tu sentiras le bouillonnement de la vie qui est là, omniprésente, universelle, patiente.
Non, me répondit-elle, l'hiver n'est pas beau. Je le sens comme la mort des autres saisons, et pas comme ce que tu dis. Tout s'est arrêté, je me demande si quelque chose va repartir, et cela me fait peur quand j'y pense trop fort. Le cri des corbeaux dans la campagne ressemble à l'oraison funèbre de la nature, et quand ils se taisent, j'ai l'impression que le silence est comme une menace pesante pour ce qui vit encore. La blancheur vide et immense des champs enneigés qui se confond à l'horizon avec la grisaille des nuages bas, la brume qui parfois envahit le paysage comme pour dissimuler les mystères qui s'y cachent, l'air glacial qui te fouette comme pour te transformer en statue de verre, tout donne l'impression qu'un autre monde te guette, menaçant et dangereux.
Il me fallut réfléchir un peu avant de lui répondre, moi qui suis dans l'hiver de ma vie.
Si on en croit la science, l'hiver et les autres saisons ne sont que la conséquence de la révolution de la Terre autour du soleil. Mais à l'échelle de l'homme, qui est tout petit, et de la jeunesse, qui découvre le monde, nous ne voyons pas les choses ainsi, nous les ressentons d'abord avant de les penser. C'est pourquoi, même si tu sais bien que le mois prochain le printemps sera là et balaiera toutes tes noires pensées, tu ne peux t'empêcher de croire que l'hiver pourrait ne plus s'arrêter. Mais pour moi, qui ai vu passer des dizaines de saisons, je sais bien qu'il n'en sera rien, et c'est pourquoi je ressens l'hiver comme une promesse et non comme une fin.
Oui, me dit-elle, tout cela est vrai. Mais c'est uniquement parce que nous sommes là, ce soir, au coin du feu que je t'ai aidé à allumer, une tasse de thé brûlant à la main, à deviser tranquillement. De cette manière, l'hiver est supportable, parce qu'on arrive à l'oublier, c'est comme s'il n'existait pas. Si nous étions dehors, nus et grelottants dans une grotte enfumée, comme nos ancêtres préhistoriques, tu te demanderais sans doute combien de tes enfants seront encore vivants au printemps, au lieu de me parler de la beauté de l'hiver et de la virtualité des saisons.
Comme elle avait quand même un peu raison, bien que je n'aie pas tort, je ne lui ai pas répondu et nous avons parlé d'autre chose.
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Commentaires
2Jean-JacquesLundi 23 Mars 2015 à 22:56
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J'aime vos deux réflexions sur l'hiver. J'ignore l'âge de ta petite fille qui sait expliquer ce qu'elle ressent !
Par contre, toi, te connaissant, je ne te vois pas encore en hiver... tu représentes une belle matinée d'automne !