• Le coffret

    Jean-Pierre Leguéré

    11 octobre 2017

     

    J’étais dans notre chambre et mon regard cherchait je ne savais quoi jusqu’à ce que surgisse en ma mémoire le coffret. Il fait partie de ces objets si familiers que le propriétaire en ressent la présence sans vraiment le voir, mais dont l’absence agace l’œil, inquiète l’esprit, taraude vaguement le cœur. L’évanoui nous possède alors et l’on a de cesse de le retrouver. Me voilà criant du haut de l’escalier :


    - Aïcha ! Aïcha ! Où es tu ? Tu m’entends ?


    - Oui, M’sieur Christian, j’suis en bas de l’échelle ! (va savoir pourquoi elle n’a jamais su nommer l’escalier autrement que comme l’ échelle ?)


    - As tu vu le petit coffret à bijoux de la chambre ?


    - Le p’tit coffret bois ? Ah oui, oui ! je l’ai descendu avant-hier pour le briller … je vais te le monter tout à l’heure.


    Elle ne s’est pas fait attendre. Alors Je suis resté un long moment à contempler le coffret retrouvé, posé là, sur un châle de soie orientale, fait de longues rayures parallèles noires et rouges alternées, le noir profond et silencieux, le rouge vibrant d’un son grave et chaleureux.


    Le voilà devant moi, pas plus épais ni plus large que 4 boites d’allumettes de ménage. Un subtil travail de marqueterie, où le noir de l’ébène contraste avec la teinte légèrement orangée du merisier –à moins que ce soit du poirier ?  Au centre du couvercle s’inscrit une fenêtre de cuivre doré qu’encadre un double filet du même métal. Elle était sans doute destinée à recevoir les initiales de sa propriétaire. Cela aurait du être M et L puisque le coffret appartenait à Marie-Louise Blanche ma mère qui le tenait de sa mère Marie-louise Amandine laquelle en avait hérité de sa mère, Marie-louise Françoise, laquelle le tenait de Marie-Louise Angéline, celle là même dont on racontait la terrible histoire qui s’était passée pendant la guerre de 1870 ; une bande de prussiens avinés,  histoire de rire,  l’avaient jetée, toute bébé encore, dans une valise avant de la mettre à l’eau dans le loir sous les yeux horrifiés de ses parents que les brutes avaient attachés sur les chaises de la cuisine. Par chance, plus loin en aval, des paysans avaient entendu les braillements de l’enfant et trouvé l’esquif, arrêté dans sa course par une branche de saule baignant dans l’eau.


    Mon mariage avec Pauline avait brisé la longue chaîne des initiales silencieuses des femmes de la famille et nous n’avions pas même songé à y graver les nôtres, comme si nous étions conscients de n’être que dépositaires d’un objet qui sans doute nous survivrait.


    Machinalement, j’ai ouvert le coffret pour le refermer tout aussitôt, et puis je l’ai ouvert à nouveau, lentement, cherchant à vivre avec exactitude le mouvement des mains de Pauline quand elle allait y chercher un bijou, le tenant de la main gauche et l’ouvrant de la droite avec cette gracieuse douceur qui présidait à tous ses gestes. Dans l’écrin de soie bleu ciel palie, verdie un peu par le temps, les bagues familiales sont là, éteintes depuis que personne ne les porte plus. J’ai pris celle là, anneau d’or serti d’une émeraude étoilée de diamants, que Pauline affectionnait particulièrement.  Il n’y avait entre mes doigts que métal et pierre, aride paysage dans lequel mon âme nostalgique aurait voulu faire revivre les lumineuses images du passé. En vain.


    Nos contemplations deviennent insensiblement méditation. Je songe à Pauline, à la gaieté de la maison, à la musique qui l’a déserté depuis que nous ne jouons plus à quatre mains au piano, à nos agaçantes querelles, à nos fantaisies de traversin. Où sont passées nos liesses de chair, nos noces de l’esprit ? Que faire de ce qui m’advient ? Où trouver l’apaisement ?


    Est ce toi, Pauline, qui me souffles, une fois de plus, le beau vers de Paul Valéry dans « Le Cimetière marin » :


    Le vent se lève ! …Il faut tenter de vivre !


  • Commentaires

    1
    chantal barillot
    Samedi 21 Octobre 2017 à 12:29

    Que dire de ce texte ? Je l'ai aimé dès la première lecture. je le trouve réussi à tous points de vue. Le vocabulaire, le choix du thème, la douceur et la nostalgie qui affleurent, les adjectifs accolés aux couleurs, le dialogue, la fin. Je n'ai pas résisté à le faire lire autour de moi, pardon, commentaires unanimes ! ! Un texte digne d'un écrivain plus que d'un simple auteur. j'espère qu'on sera nombreux à en profiter ! 

    2
    Suzanne Tarrieu
    Dimanche 22 Octobre 2017 à 19:54
    Je partage entièrement le commentaire précédent
    Une curiosité m'à envahie dès la première phrase.Tout est subliment bien écrit et la sensibilité que dégage le adjectifs choisis avec finesse.Une grande immersion dans un passé encore présent. ..merci pour le plaisir de vous lire.
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