• par Jean-Pierre Leguéré

     6 janvier 2016 

    Sur le thème : "Portrait d'un personnage mettant en avant un élément particulier"

     

    La main droite de Turpin comportait trois doigts : le pouce, l’index et l’auriculaire. Et, dans l’intervalle, un hideux moignon rose. Qu’en était-il des deux autres doigts : avaient-ils été coupés, tranchés, déchiquetés, tronçonnés, arrachés ? Nul ne savait ou, plus exactement, nul n’évoquait les circonstances de cette double amputation qui nous fascinait. Mais nous devions vivre avec ces trois doigts, sans ces deux doigts. Quand Turpin prisait par exemple — et il prisait beaucoup : sa blague à tabac, en caoutchouc d’un rose foncé, bien proche de la teinte du moignon, restait assoupie sur le bureau tout au long des cours. Le pouce et l’index s’écartaient alors l’un de l’autre au maximum pour créer une petite cuvette, à hauteur du poignet, quant à l’auriculaire, il restait dressé de telle sorte que les deux doigts devenaient les cornes de quelque animal inconnu de nos bestiaires. Puis de la main gauche, il tirait un peu de tabac de la blague et le déposait soigneusement dans la cuvette, enfin, il portait la main vers son nez et, d’un mouvement arrondi du poignet, nourrissait ses narines. Celles-ci aspiraient les grains et les poussières de tabac, énergiquement, à plusieurs reprises, sorte d’éternuement à l’envers. La prise faite, les deux cornes se détendaient ; Turpin frottait alors légèrement sa main sur son pantalon brun, refermait la blague puis reprenait son cours…

    Quand Turpin prenait en défaut l’un d’entre nous : devoir mal fait, ignorance coupable, distraction pendant le cours, nous voyions avec effroi la main se diriger vers le fautif, s’arrêter quelques instants près de sa tête comme pour le désigner puis le pouce et l’index se saisir d’une oreille pour la pincer comme pincent le crabe ou le homard.

    Quand Turpin voulait ponctuer un élément grammatical particulièrement important, souligner la présence d’un faux ami dans les vocabulaires latin ou grec, il levait la main droite, l’index tendu vers le haut et nous regardions l’index comme l’imbécile regarde le doigt au lieu de regarder la lune…

    Ainsi devînmes-nous d’excellents latinistes.

     


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  • par Jean-Pierre Leguéré

    4 novembre 2015

     

    Sur le thème : "Une promenade faite de nuit"

     

    Elle est partie de chez son père, en bas du village, près de chez le boulanger ; elle a foulé les pierres chaudes encore, elle a marché sans regarder les lourdes portes cloutées bleues ou jaunes, ni les moucharabiés, ni les jardins fleuris à moitié cachés derrière les portes ; puis son pas s’est fait plus rapide, comme si une tension la portait ; elle a monté, monté encore jusqu’à percevoir tout en haut de la colline le muret bas du cimetière, et plus loin encore le phare, petit, trapu.

    La voilà bientôt au sommet. Enfant, le lieu l’effrayait. Maintenant elle aime les pierres sobres et blanches qui couvrent le corps des croyants ; sur la stèle de l’une d’entre elles, on peut lire le nom de son grand père, qu’on appelait Boulahya et qui repose là depuis quelques années déjà. L’éternité est palpable dans les cimetières marins magnifiés par l’immensité d’un ciel dépouillé et l’inépuisable rumeur de la mer

    Bientôt elle a contourné le mur du cimetière pour laisser le village derrière elle. Face à elle une pente sauvage couverte d’un maquis de ciste, de myrte, de romarin et de lauriers descend vers la mer. Sans souci de son jean blanc, elle s’est assise par terre, le dos appuyé au mur du cimetière.

    Lui, est arrivé par l’ouest, de l’autre côté du village après avoir monté de semblables ruelles. Comme elle, il s’est d’abord arrêté comme pour saluer ce paysage dont la grandeur lui est familière, puis il est allé vers elle, l’a regardé sans un mot, s’est assis à ses côtés.

    Il y eut un moment de stupeur. La nature semblait figée dans une attente. Incertaine. Les arbres avaient cessé leur bruissement, les oiseaux leurs chants. Quelques nuages blancs, hauts et légers, s’immobilisèrent. Le ciel, bleu un instant plus tôt, vira au jaune orangé que nuança bientôt un rose lumineux puis une couleur de miel et d’or bruni. Leurs regards à tous les deux se fixaient sur l’ouest ; leurs deux corps restaient immobiles ; on les aurait dit en état de sidération.

    Sa main gauche à lui chercha sa main droite à elle, la recouvrit.

    Puis la vie à nouveau respira. Le vent reprit souffle, le jasmin embauma, des martinets traversèrent le ciel, deux chats faméliques jaillirent par dessus le mur du cimetière. Toujours assis, il se rapprocha d’elle jusqu’à la toucher de l’épaule. Plus tard, les premières étoiles les trouvèrent à la même place, graves et muets . Venant du bas du village, très atténuée, leurs parvinrent des airs de malouf, la musique traditionnelle, qu’on jouait devant le café le vendredi soir.

    Elle :

    - À quoi tu penses ?

    Rêveur, Il ne répondit pas tout de suite. Puis :

    - À Icare…

    - Icare ? Celui qui se brûla les ailes au soleil ?

    - Oui c’est à Icare que je pense. Vois-tu, s’il avait bien voulu s’envoler à cette heure douce, même s’il était monté plus haut encore, la cire n’aurait pas fondu, il aurait poursuivi son vol…

    Il y eut à nouveau un long silence. Et puis, tête baissée, comme cherchant quelque chose devant elle, sur le sol, ses longs cheveux noirs cachant son visage, à voix presque basse, elle dit :

    - Tu m’aimes ?


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  • Jean-Pierre Leguéré

     7 octobre 2015

     

    Vous partirez de chez mon amie Sihem Abdallah, qui habite à Carthage, rue Plutarque, On ne peut manquer le jardin fleuri de sa villa que vous trouverez à main droite en bas de la rue, à proximité des antiques ports puniques. À portée de regard, ensablée par le sirocco, étouffée d’herbes et de lianes, vous verrez une maison muette. Vous êtes dans le quartier Salammbô. Ce n’est pas en vain. On vous racontera que Gustave Flaubert passa dans cette maison de longues heures à écrire son roman; ne donnez aucune foi à ce conte: la maison est de construction postérieure à la mort de Flaubert. Bénie soit toutefois cette légende qui marque l’attachement des habitants à l’écrivain : les yeux de Flaubert ont vu les paysages que vos prunelles caresseront avant d’écrire sa deuxième version de Salammbô.

    Vous quitterez Sihem et la langueur sucrée de la rue Plutarque aux heures où les ombres s’allongent, celles où la colline de Byrsa délivre le mieux ses mystères. Vous monterez par cette voie en lacets qui conduit à l’Église Saint-Louis et au musée qui la jouxte ; vous leur consacrerez du temps un autre jour, peut-être. Mais aujourd’hui, votre visite s’arrêtera sur cette vaste terrasse dont les hautes colonnes cannelées sont le seul décor. Sur le marbre et la pierre, d’instinct, vous vous poserez, debout, face à la mer, intimidé par la grandeur du lieu. Le soleil délivrera ses couleurs de l’aube ou du couchant, vos yeux plongeront en contre-bas dans la mer, vous sentirez un vent léger aux odeurs de bois, de thym, de pierre chauffée. La terre, le feu, la mer, l’air, les quatre éléments sont là, en harmonie. Mais l’émotion vient plus encore des villes qui sont sous vos pieds et dont il ne reste que des strates de pierres et de terre séchée ; vous voilà à Byrsa, au cœur de Carthage, en intime communion avec l’Histoire, une histoire de 3000 ans.

    Byrsa, signifie bœuf en grec et doit son nom à l’objet de marchandage du personnage le plus emblématique du lieu, la princesse phénicienne Élyssa, Élyssa Didon, princesse errante et courageuse, fondatrice de la ville. Sa gloire naît d’une tragédie au cours de laquelle, pour des raisons de pouvoir, Pygmalion, son frère, avait tué son mari Sychée. Veuve inconsolable, Elyssa avait quitté Tyr avec sa cour, sur de nombreux navires. Ils avaient vogué longtemps avant qu’Elyssa remarque cet éperon rocheux dans la mer, avant qu’elle décide de cette colline, avant qu’elle pose enfin son bagage. Avec le roitelet du pays, elle discuta la surface de la terre qu’il voudrait bien lui céder. On s’entendit sur une simple peau de bœuf. Lui, le vendeur, croyait octroyer la surface que pourrait recouvrir la peau ; elle, la rusée, entendait la surface que l’on pourrait entourer avec la même peau découpée en lanières fines comme un fil. Ainsi naquit Carthage. C’était peu pour un nouveau royaume, c’était une suffisante tête de pont. Pour cette ruse peut être, Hiarbas, le roitelet, en admira plus encore la belle et s’en éprit. Au point de vouloir l’épouser. Plutôt que trahir son serment de fidélité au cher Sychée, tragique jusqu’à sa dernière heure, Élyssa préféra se donner la mort.

    Oubliez le général Hannibal Barca et ses éléphants, oubliez les guerres puniques, et le général Amilcar, oubliez ceux qui furent les grands de ce monde-là, leurs ambitions, leurs rêves de gloire et leurs guerres incessantes. Phéniciens, Grecs ou Romains, la semence des hommes portait la guerre ; à cause d’eux les mères redoutaient le désir de leur fille, à cause d’eux la guerre poursuivait les générations. Oubliez les puissants, écoutez plutôt ces bruits qui montent vers vous : les rumeurs lointaines du stade, les vociférations militaires, les discussions tapageuses dans les latrines collectives, la criée du poisson, les échos de complots, les mensonges commerçants, les chansons enfantines, les chuchotis d’amour, les sanglots muets! Ces bruits sont–ils si différents de ceux que vous entendez chez vous, depuis votre cinquième étage ? Les successives Carthage, détruites et reconstruites pendant des siècles sont empilées les unes sur les autres ; sur la colline de Byrsa, sous vos pieds, vous sentirez trembler la terre qui recouvre ces vies superposées.

    Malgré la chaleur tombante ou naissante, la curiosité, l’intérêt, mais plus encore le charme du lieu vous pousseront à descendre, d’étage en étage. D’un pas alenti par les pierres branlantes, les herbes hautes et les buissons, vous irez, fouillant des yeux les pièces que les archéologues ont désignées comme chambres ou cuisines, ou greniers. Vous les chercherez, vivants, à leur travail, dans les rues, assis devant leurs boutiques à discuter ou sculptant la pierre ou l’ivoire, ou tranchant la viande dans les arrière-cuisines. Un panneau, marqué « Nécropole » réduira les fantômes au silence. Délaissant les sarcophages, vous pourrez poursuivre votre chemin quelque temps encore…

    Élatos a huit ans. Un jour il descend sur la plage, loin en contre bas, seul avec sa mère ; pour jouer, il a emporté une petite balle de cuir. Une inattention, un geste malheureux, voilà la balle perdue en mer. De l’autre côté de la Méditerranée, un petit garçon de huit ans, deux mille ans plus tard, a perdu son ballon. Les deux enfants pleurnichent un peu près de leur mère… Quelles différences entre Élatos et l’enfant que vous fûtes?

    Essoufflé un peu, mais plus encore secoué d’émotions, vous quitterez la terrasse pour gagner la façade noble du musée, dont la vue depuis les arcades du premier étage donne sur un sobre jardin. À l’ombre des palmiers et des cyprès et des oliviers, vous vous assoirez sur le tronçon d’un fût couché ou sur un chapiteau sculpté, ou sur une stèle aux inscriptions silencieuses, ou sur une simple bûche de bois. Et vous continuerez à contempler ces vies s’écrasant, vague après vague, sur les plages de l’infini…


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  • Jean-Pierre Leguéré

    20 mai 2015

     

    La pensée lui vint sans doute que dans les mains de ces hommes là, il y avait des silex et des gueules de chien. Et qu’il lui faudrait du courage. Il trembla.

    L’accrochage, au petit matin, avait été bref. L’un d’entre nous était blessé d’une balle dans le ventre. 4 fells étaient morts, un autre prisonnier. Le radio a demandé de l’aide, deux jeeps sont arrivées dans lesquelles on a jeté les morts, dans l’autre le prisonnier. Une ambulance a emporté le blessé. Je me souviens, nous sommes rentrés au cantonnement par un creux et long chemin pierreux bordé de gros cactus et de figuiers.

    On avait enfermé le prisonnier dans cette pièce qui servait de prison sous la garde d’un caporal et d’un jeune appelé. Puis, plus tard dans la matinée, on l’avait emmené dans cette baraque que nous connaissions trop. Le capitaine était officier de renseignements, avec lui un adjudant-chef et un caporal, le jargon militaire dit volontiers un « cabot » Ils accueillent à coups de poings, à coups de pied, à coups de matraque.

    Il suffit pour le bourreau d’une dynamo manuelle, avec des électrodes, un instrument qu’on appelle familièrement gégène. Il suffit de disposer des oreilles et de parties génitales du prisonnier. L’intensité de la gégène est réglable : 180 volts, 220 ? 240 ? Tu parles, salaud, oui ou merde ? Le bourreau rigole : alors quoi le courant passe pas entre nous ? Il suffit pour le bourreau d’une barrique d’eau, pour asphyxier, il suffit de la crosse d’un fusil pour briser les os ; il suffit d’une porte et de son chambranle pour mordre des doigts ; il suffit d’un tuyau de caoutchouc pour strier le corps ; il suffit d’un torchon mouillé sur la bouche du supplicié pour étouffer ses cris. Parfois le torchon manque. Les cris, nous les entendons, les cris nous en sommes complices. Je les entends encore, comme des acouphènes que seule la mort éteindra..

    - Comment tu t’appelles

    - Ahmed

    - Ahmed, comment ? Quelle katiba ? Qui commandait ce matin ? Parle !

    Ahmed ne dira plus rien.

    Le chef de sa katiba leur avait dit ; Si tu es pris, tu te tais. Ils auront en main des silex et des gueules de chien, mais tu te tais. Oui des silex et des gueules de chien. Si tu es pris tu te tais. Sinon, c’est la katiba qui meurt.

    Le lieutenant dit : «  Bon dieu , mais tu vas parler sale bicot ? tu vas parler… »

    Le capitaine dit à l’adjudant qu’il faut faire parler le crouille pour sauver des vies humaines françaises. Ahmed hurle sa douleur pour mieux taire ses secrets et pour sauver des vies humaines qu’il pense algériennes.

    Le capitaine dit : « Ces salauds font la même chose de l’autre côté ! Te gêne pas, tourne la manivelle ! Tourne , bon dieu ! » 

    Le silence est courage. Terrible vertu.

    Prisonnier muet, inutile. On l’emmène dans les bois. On retire ses liens. On lui dit : Cours, Ahmed. Comment courir quand on a les dessous de pied ensanglantés ? Tu es libre, file… Comme un oiseau aux ailes rognées, Ahmed cherche l’envol. Une volée de balles de P.M l’abat. Dans le rapport, on écrira, comme d’habitude, que » le prisonnier a profité d’un moment de travail forestier pour tenter une évasion ». Mais ce crime portait un nom : « corvée de bois ».

    Courage du résistant Jean Moulin, courage du terroriste Ahmed. Martyr de l’un, martyr de l’autre. Vertu de l’un, vertu de l’autre. L’un repose au panthéon, l’autre est sous une pierre blanche dans l’anonymat. Le courage, sens premier du mot Virtus, est intemporel et universel. Aurais-je eu ce courage ?


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  • par Jean-Pierre Leguéré

    23 mars 2015

    Appelons-le l’adjudant N, N comme Noémie pour respecter l’anonymat. Ou encore l’adjudant Haine par ce qu’il n’y a pas de raison de fustiger l’ensemble des adjudants de l’armée française. Mieux encore, appelons-le définitivement Haine tout court, parce que ce qui est arrivé est indépendant de son grade mais tient à son choix personnel, comme homme. Haine, donc, est à l’origine de ma première image de la guerre d’Algérie, la première dans le temps, la première aussi de celles qui s’allument quand les cauchemars de la nuit m’entraînent vers cette époque sans gloire.

    C’était le deuxième jour que notre groupe d’appelés était venu rejoindre le camp de Marceau que les algériens appellent aujourd’hui Menaceur, petit village de trois ou quatre cents personnes à l’intérieur des terres à une vingtaine de kilomètres au sud de Cherchell, dans une belle région montagneuse et boisée. Nous n’avions encore vu d’autres ennemis que les punaises qui fréquentaient nos lits de camp. La scène qui suit est racontée au présent de l’indicatif parce que je ne sais pas la vivre comme passée, elle tourne en boucle dans ma vie.

    En fin de matinée, Haine arrive dans la jeep qu’il conduit lui-même. À sa droite celui qui devrait être le chauffeur, de peur d’être éjecté, se contente de s’accrocher au pare-brise ou à son siège. À l’arrière de la jeep, un corps. Haine freine après un virage en force pour s’arrêter à quelques mètres du cantonnement. Il saute à terre, hausse un peu le menton, jette un regard circulaire, un regard qui dit à la cantonade :

    - C’est moi, Haine regardez ce que je rapporte !

    Il se dirige vers le siège arrière de la jeep, prend le corps sous les aisselles, tire un peu pour le sortir à moitié, puis la main gauche sous les épaules, la main droite à hauteur des genoux, il emporte la dépouille et la jette dans le champ voisin. Sur un geste, le chauffeur reprend la jeep pour la garer ; Haine se dirige vers la baraque de commandement.

    Dans le champ, le garçon de mon âge, est déjà hors du temps. Le mince corps semble sans raideur encore, le visage est gris sous une barbe de trois ou quatre jours, les cheveux sont noirs, drus, frisés, les yeux ouverts, la bouche entr’ouverte. Mais la béance, ce sont aussi trois plaies et du sang, l’une sous l’épaule à gauche, l’autre dans le thorax, à gauche aussi, la troisième se situe, plus bas, dans l’abdomen. Interdit, je reste interdit ; deux jeunes appelés viennent me rejoindre. Interdits. À petits pas, nous avons tourné le dos, nous sommes partis ailleurs, nulle part, sonnés.

    Il ne se passe pas un quart d’heure avant que Haine revienne avec une grosse et longue corde. Il s’approche du corps, en arrache la veste et la chemise, défait la ceinture, retire le pantalon. Les sandales sont parties d’elles-mêmes dans la brusquerie des mouvements. Deux tours de corde autour de la poitrine, un nœud puis Haine va chercher la jeep, la met à la distance qu’il juge convenable, saute, accroche l’autre bout de la corde à une sorte de potence à l’arrière du véhicule. Moteur ! La jeep avance lentement, le corps suit ; Haine jette un coup d’œil  et gueule :

    - Ça tient ? Sûr que ça tient ! Putain de crouille, on va te promener !

    C’est un chemin empierré qui monte vers le village. La jeep l’emprunte, le corps tressaute, se déchire dans la poussière. Tout le village, rue après rue, le voit. Les vieux se tassent sur eux-mêmes, regardent le sol, humiliés à jamais ; les femmes se cachent dans leurs voiles, poussent des youyous ; les enfants courent vers leur mère. Sur la placette du village, Haine fait un tour d’honneur, coupe le moteur, descend de la jeep et abandonne là son équipage. Trois hommes assurent la garde, armés de pistolets mitrailleurs.

    Quelques chiens affamés aboient à distance du corps, ils ne voient heureusement pas là pitance. L’inhumain est le fait des seuls humains.


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