• par Eliane Chelle

     27 Janvier 2015

    Éplucher un beau chou pommé,

    Prendre les feuilles, bien les laver.

    Les faire blanchir à l'eau bouillante

    Pour éviter l'heure flatulente !

    Voici ce que Jean-Pierre expose

    Au début du plat qu'il propose.

     

    Au fond d'une terrine en terre,

    Installer ce que l'on préfère,

    De la graisse d'oie ou du saindoux

    Les mettre à fondre sur un feu doux.

    Prendre le chou, le disposer

    Puis la viande y incorporer :

    Une palette de porc fumée

    Lard demi-sel et lard fumé.

    Carottes et navets répartis ,

    Poivre, thym laurier réunis.

     

    Le reste des feuilles de chou,

    Vivement recouvre le tout.

    Des girofles piqués aux oignons

    Se faufilent sous le bouillon

    De volaille, mis de moitié,

    Le surplus étant de côté.

     

    L'ensemble est mis à mijoter

    Une heure, cent quatre vingts degrés,

    Dans le four, puis accueillera

    Saucisse Morteau et cervelas.

     

    Une heure encore cette potée

    Sera remise à mijoter.

    Puis offerte dans la terrine,

    Sa vue tortillant les babines.

    Partagé, ce plat familial

    De jean-Pierre est un vrai régal !

    Ce n'est pas de la « merde » au moins

    Faite par le chef, rabelaisien !.!


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  • par Louis-Marie Roussiès

    27 Janvier 2015 à 19:29

     

    Je vais vous raconter une histoire, que j’ai longtemps gardée secrète,  et qui me donne encore quelques frissons!.

    Je m’appelle Yann. A l’époque j’ai 14 ans, je viens de passer avec succès mon certificat d’études, ce qui m’a surpris car j’étais loin d’être dans les premiers de ma classe ; je suis l’aîné d’une famille de six enfants, la petite dernière Judith a six ans, nous habitons dans le marais.

    Ce matin-là, je prends le bateau pour aller relever le filet que j’ai placé la veille dans la rivière à un kilomètre environ de notre maison ; je n’ai pas voulu que ma petite sœur se joigne à moi comme elle aime le faire souvent. Le ciel est dégagé, une légère brume capte de belles lumières, je suis plein d’entrain en ce jour naissant, quelques oiseaux s’envolent sur mon passage, des poules d’eau s’éloignent ou plongent . Arrivé sur le lieu marqué par une petite borne rouge de ma fabrication j’amène le filet jusqu’à ma barque en le tirant brusquement ; je vois tout de suite une belle tanche et un brochet qui se débattent frénétiquement. «  Que mes parents vont être contents ! pour une fois je rapporte une bonne pêche ! » Ma bonne humeur me donne des ailes et je ne rebrousse pas chemin tout de suite…même si mon père m’attend pour lui donner un coup de main comme d’habitude à la ferme «  je n’ai pas envie de me tuer à la tâche  comme il le fait ! » Je continue donc ma navigation, le coeur joyeux, en chantonnant quelques chansons apprises à l’école et je m’enfonce dans le marais en suivant les canaux et les fossés recouverts de lentilles d’eau. Je suis un peu perdu, les fossés se succèdent comme dans un labyrinthe. J’entends le cloches de l’Eglise qui annoncent la fin de la messe…J’aime naviguer au fil de l’eau ! une nature pleine d’insectes , de poissons, d’oiseaux rares m’entoure, m’envoûte…Tout à coup, à l’angle d’un fossé et d’un canal je devine une maison au toit de chaume  «  C’est la maison de Fernando, le réfugié espagnol ! » Mon père m’en parle souvent ! il se demande toujours comment il fait pour vivre si loin de tout : il faut qu’il prenne le bateau pour sortir de chez lui car sa maison est entourée d’eau ; l’hiver avec la crue le rez-de-chaussée est inondé ! . Au moment où ma curiosité s’ exaspère, je le vois sortir et l’entends m’appeler d’une grosse voix rauque  «  Viens donc jeun’ homme, j’ te connais un peu, t’as pas à avoir peur ! laisse ton bateau, j’vois pas grand’monde ces jours-ci…on va boire un p’tit coup et parler ».

    Fernando est réputé dans le village , c’est un réfugié espagnol qui appartenait aux brigades rouges, il a été fait prisonnier puis s’est évadé. En 1938 il est arrivé dans notre village, tout dépenaillé et mourant de faim il y a une dizaine d’années. On l’a bien accueilli. Il a choisi de vivre dans une maison à peine salubre au fond du marais, a évité la guerre 39-45. Il s’y plaît, dit-on, mais de drôles de rumeurs courent sur lui et ses mœurs…Mes parents m’ont conseillé de m’en méfier ! Je crois que tous ces ragots attisent ma curiosité car malgré son apparence hirsute, ses yeux bleus, vifs, pleins de douceur m’attirent d’emblée et m’interrogent sur son originalité . J’accoste donc le long de son jardin puis j’attache mon bateau à un tronc d’arbre aménagé à cet effet. Il vient m’accueillir en me tendant une main amicale et chaleureuse « Sois le bienvenu, j’ t’ai vu arriver et j’ai remarqué que tu te débrouillais bien pour conduire ton bateau avec la pigouille,*          c’ n’est pas donné à tout le monde » Sa longue tignasse et son visage marquée de profondes rides lui donnent un air de « Robinson » qui ne me déplaît pas ! Je suis ses pas , me laisse conduire à l’intérieur de sa petite maison. Ma surprise est grande en découvrant une grande pièce bien rangée, un sol carrelé très propre, des meubles vernis dans le style de la région et une haute cheminée dans laquelle une bûche finit de se consumer. « j’fais toujours une p’tite flambée le matin, avec l’humidité ça fait du bien à la maison ! ici c’est la pièce où je vis, ça m’suffit, j’ai une chambre, une arrière cuisine et là-haut un p’tit grenier, faut      qu’j’ prenne l’échelle pour y monter ; quand l’eau arrive dans la pièce il faut tout superposer ! » Je reste muet, très curieux d’en savoir plus  sur mon hôte.

     - Assieds-toi me dit-il brusquement j’vais t’chercher un p’tit verre pour que tu goûtes de mon eau d’vie de prune, elle est extra !

    - Mais je n’ai que 14 ans, bientôt 15 il est vrai, faut pas abuser de l’alcool lui dis-je d’un air décidé.

    - T’inquiète pas, t’arriveras bien à retourner chez toi ! un p’tit peu à ton âge ça peut pas te faire de mal !

    Il s’absente par une petite porte cachée derrière un rideau. Il tarde, je me demande bien ce qu’il fait ! J’en profite pour explorer sa pièce. Quelques bric-à-brac d’objets sont dispersés sans ordre apparent par terre ou sur des étagères : des outils, des boîtes, des verres, des portraits de vieilles personnes…Au-dessus d’un meuble qui ressemble à une commode je soulève un tissu brodé qui cache 5 à 6 beaux livres reliés, des Malraux, des Victor Hugo, des Maurois ! Ma surprise est totale ! Je feuillette l’espoir d’André Malraux ; de nombreux passages sont soulignés en rouge, tous ceux concernant la révolution du peuple ; les pages des misérables de Victor Hugo sont écornées et jaunies. A côté, un tout petit livre illustré sur la guerre d’Espagne est abîmé, un peu crasseux … J’entends du bruit, je me rassois mais il n’est toujours pas là ! Je regarde le paysage, comblé d’eau, de fossés, de bois…  Comment fait-il pour vivre seul dans ce lieu isolé, sauvage !. 

    Il arrive enfin très énervé  « je n’ trouvais plus ma bouteille de gnôle ! c’est un comble, j’en prends un petite goutte tous les matins » je lui fais part de mes

    découvertes pendant qu’il me sert généreusement…N’attendant pas mes questions il m’avoue  qu’il aime beaucoup lire, qu’il a appris un peu le français en Espagne , qu’un ami l’a aidé en France. Il me dit quelques mots sur sa guerre là-bas, son combat avec les républicains, son emprisonnement, son évasion, et me fait les louanges de la France qui l’a accueilli et ne l’a pas dénoncé. Il remercie mon père qui l’a caché quelques temps. J’écoute, subjugué par tant d’aventures incroyables… Je l’interromps et t’interpelle :

    - Dites-moi Fernando vous lisez vraiment beaucoup, j’ai vu les livres, ce n’est pas n’importe quoi !

    - Oui, la journée et le soir à la bougie… les livres que t’ as vus, j’ les ai lus des dizaines de fois !. Malraux avec son aviation est intervenu en Espagne pour soutenir les républicains, j’ lui en suis très reconnaissant. Les autres pays nous ont bien laissé tomber ! Quel gâchis ! En Espagne, règne un dictateur meurtrier, qui emprisonne, tue, torture, règne en maître pour longtemps,. J’ peux plus revenir dans mon pays , j’en souffre chaque jour… J’aime le récit des livres de Victor Hugo , quel souffle de liberté, lui, au moins, il a défendu les pauvres , mais il l’a payé par vingt ans d’exil !

    Quelques larmes coulent sur son visage, il se met la tête dans les mains. Je le trouve tout fragile , désespéré, désemparé…Il se met debout calmement et me sert un second verre.

    Il me semble entendre encore un peu de bruit.

    Il m’explique qu’on entend toujours du bruit ici … avec les oiseaux, les pies, les corbeaux, les buses, le poulailler, les branches arrachées par le vent, le bois qui travaille et que la nuit on croit entendre des revenants…. Je lui avoue que sa vie est unique, dramatique, héroïque, qu’il devrait se lier avec les gens du village. Les bouffées d’alcool me montent au visage , me rendent optimiste, m’étourdissent, me font un peu bafouiller... Il veut me resservir, je refuse ! il me sert un troisième verre ! Il dit que je me débrouille bien sur mon bateau, qu’il n’y a pas de problème, qu’il peut me reconduire au cas où je ne tiendrai pas le coup. J’ai du mal à le suivre maintenant car il n’arrête pas de parler de ses bouquins, qu’il connaît décidément par cœur !

    J’interviens régulièrement pour affirmer que je vais partir. Le brouillard arrive , mes parents vont se demander où je suis passé , je me demande même si je vais retrouver mon chemin dans mon état d’ébriété très avancé désormais. Puis il sort de nouveau pour revenir un bon quart heure après. « Fallait qu’j’aille donner à manger aux poules  »

    Je me lève, enfin, titubant, en lui avouant tout mon intérêt pour ses récits et en lui certifiant que je reviendrai un jour prochain «  pas de problème, mais j’suis pas toujours là ! quand je pars j’ferme tout, tu verras bien ». En me levant mon pied droit s’accroche à une corde qui traînait là et je tombe sur mon coude, je ressens une vive douleur dans tout mon bras. Il m’aide à me relever , tout mon bras est paralysé, je ne peux plus le plier… Il s’absente et revient avec une longue bande qu’il me serre pour l’immobiliser « A la guerre , j’ai soigné beaucoup de blessés, ne t’inquiète pas, mais faudra aller voir ton toubib ! » Il me propose de me ramener chez moi sur son bateau  «  tu reviendras avec ton père chercher le tien ! »

    J’entends encore du bruit, je crie : « Fernando, vous me cachez quelque chose, il y a quelqu’un chez vous ! » « Arrête tes cris, jeune homme, il est grand temps que je te ramène, monte dans mon bateau, je vais te conduire chez toi, t’ es un peu trop saoul !  » Je m’installe avec son aide, il prend la pigouille. Au moment de partir je crois avoir une vision, - ce n’est pas l’alcool- je vois sortir une grande femme blonde vêtue d’un vieux manteau et un enfant brun tout frisé d’une dizaine d’années, très négligé. Je lui enjoins d’arrêter et l’apostrophe vivement « Fernando vous n’êtes pas seul ! » « Non , j’ai failli t’en parler plusieurs fois au cours de notr’ entretien mais j’ n’ai pas pu, c’était trop dur ! » Il pousse le bateau et me raconte à bâtons rompus toute sa vie intime dans sa cabane au fond des marais. Il a connu cette femme en arrivant en France dans un village des environs et a eu un enfant. Elle a fui, car ni ses parents, ni les gens du village, n’auraient supporté une fille-mère, et, qui plus est, d’un immigré espagnol ! Elle est venue habiter avec lui dans la clandestinité dans ce marais « mouillé ». Il affirme que personne ne s’en est aperçue ! Les journaux ont parlé de cette disparition mais au bout de quelques temps les recherches ont cessé… Nous continuons notre navigation - mon bras me fait très mal - Il m’avoue que le plus inquiétant c’est pour l’enfant ( il n’en dormait plus !), qu’il lui a appris un peu le français, mais qu’il va falloir le scolariser.

    « Tu vois m’avoue-t-il, enfin , j’ n’ai pas eu peur des franquistes, j’ suis monté au front, j’ai été blessé, j’ai failli mourir plusieurs fois, j’ai été fait prisonnier, j’ m’ suis évadé, j’ai changé d’ pays … mais j’ai eu peur du  qu’en dira - t-on  d’une famille, des gens d’un village, j’ai sacrifié la vie d’une femme, j’ai perturbé gravement la scolarité d’ mon fils Carlos !… Au fond, j’ suis un lâche ! »  

    Notre bateau arrive à son terme, je le salue, il s’éloigne, puis disparaît dans une courbe de la rivière…

    Carlos est devenu mon ami, sa mère Edith s’est fait quelques amies dans le village, Fernando est devenu moins sauvage, mais de drôles d’histoires courent toujours sur lui…

     

    * la pigouille : longue perche qui sert à pousser et conduire le bateau


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  • par Roland Maeseele

    19 Janvier 2015 à 19:43

     

    Je veux être Guillaume le Conquérant, partir à ta conquête, avoir les armées de Napoléon pour battre la campagne.

    Je veux l'épée Durandal pour fendre le roc qui nous sépare...

    Je veux l'œil du lynx, la force du lion, l'agilité du singe, la ruse du renard...

    Je veux les tours du magicien Copperfield pour te surprendre, la sensibilité de Chaplin pour t'émouvoir, les pitreries de De Funès pour te faire rire.

    Je veux creuser un océan, remonter les perles inconnues que je t'offrirai.

    Je veux ressusciter Ronsard, quatre mains sur la guitare de Django, dix Sydney Béchet...

    Je veux les pieds de Fred Astaire, les chansons de Piaf, qu'on m'appelle Allagna ou bien Pavarotti.

    Je veux écrire avec trois 'S' les mots «  gentillesse », «  tendresse » et «  délicatesse ».

    Je veux un pacte avec le soleil pour qu'il te réchauffe même la nuit.

    Je veux être médecin pour prescrire au monde le silence, n'entendre que ton cœur qui bat.

    Je veux te voir allongée sur un matelas de roses, enivrée par des senteurs délectables.

    Je veux être la voix qui rassure, la main qui guide tes pas, la lumière du phare qui éclaire lorsque tu reviendras au port.

    Je veux le cerveau d'Einstein, qu'on m'amène Sherlock Holmes, les services de sa majesté, Interpol et le FBI ... pour lancer l'univers à ta recherche.

    Je veux Cousteau et son bathyscaphe, le Capitaine Némo et son Nautilus pour explorer les fonds marins.

    Je veux la sagesse de Gandhi, les leçons du Dalaï-lama pour atténuer ma souffrance...si tu ne revenais pas...

    Je veux retrouver ton sourire, celui qui m'a séduit, qui fait couler le sang dans mes veines.

    Je veux cet instant, maintenant, sous un soleil couchant qui ne se couche jamais .

     


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  • par Jean-Pierre Leguéré

    14 Janvier 2015 à 19:07

     

    Il avait reçu un faire-part l’informant du décès de l’un des premiers actionnaires de l’entreprise ; à l’encre violette, le président Saint-Mont y avait écrit : « Faire circuler ». Entre parenthèses, il avait ajouté «  À rayer de la liste des cadeaux d’entreprise ». C’était pour de tels actes que les employés disaient de Raoul Saint-Mont qu’il n’avait pas de cœur ; c’était inexact, simplement, il avait le cœur à l’ouvrage alors que les autres le portent en bandoulière, au bord des lèvres, ou entre les feuilles d’un artichaut. Saint-Mont présidait aux destinées d’un groupe de presse et j’étais rédacteur en chef adjoint de deux des douze revues techniques qu’on y publiait : « Ingénieurs et Cadres » et « Travail et Méthodes ». Rédacteur en chef me convenait, adjoint m’indisposait pour des raisons que Saint-Mont connaissait mais réprouvait. Pourtant, aux yeux de mon patron, ce différend blessait notre relation de travail comme un mord mal attaché blesse la bouche d’un cheval ; cela gênait l’allure, il faudrait réajuster les rênes au plus tôt.

    Un lundi matin, à l’issue de la conférence hebdomadaire, après avoir souhaité une bonne semaine de travail à tous, il eut un geste vers moi : « Jean-Louis, restez un instant ! Asseyez-vous, je vous en prie ! » Puis, dès que tout le monde fut sorti : «  Bien, écoutez Jean-Louis…nous avons à parler ! ( sa main droite tournoyait rapidement comme pour décrire un bavardage innocent) Venez donc déjeuner chez moi, à Villennes, samedi midi. Nous serons plus tranquilles, plus détendus ! …Vous n’avez pas d’empêchement, j’espère ? ». Je n’en avais pas, il était de toutes façons difficile d’en avoir avec cet homme d’autorité. Il faut vous dire que Saint-Mont est un homme exceptionnel ; la soixantaine, une carrure de joueur de rugby, un profil d’empereur romain, le verbe haut, le tout habillé d’un costume à sa juste mesure. Seule sa canne, en jonc de Malaca au pommeau d’argent, qui ne le quitte pas, indique une faille : il a la goutte et il en souffre.

    Le samedi suivant, j’étais à midi sonnant à Villennes-sur-Seine. Un domestique vint ouvrir, me fit traverser le hall d’entrée, m’introduisit dans ce vaste salon où Saint-Mont semblait déjà en train de nourrir sa goutte d’un très vieux whisky bien tassé. Le décor était pour l’essentiel composé de meubles et de tissus Empire que réveillaient quelques fauteuils contemporains. Entra bientôt un être maigre, dur, sec, vêtu de tissus arachnéens dans les teintes roses dues au printemps naissant et que Saint-Mont me présenta avec empressement comme Madame Saint-Mont. Le coléoptère me tendit bien haut une main baguée d’or et de diamants que je m’appliquai à baiser respectueusement. Puis « Ma chère Simone, je te présente le meilleur de nos collaborateurs, Jean-Louis Lorient ». « Oui, oui, fit-elle, mon mari m’a souvent parlé de vous, Monsieur… ». Elle avait dans le sourire, dans la voix aussi quelque chose qui pouvait rappeler Delphine Seyrig, en plus métallique.

    On parla quelques instants de la bonne route que j’avais faite, de l’ile sur laquelle la maison était construite, du parc, de la décoration florale, puis Saint-Mont me vanta les mérites de danseuse de son épouse. Je répondis aussi galamment que je pus que la chorégraphie était l’art de dessiner des rêves à l’aide d’un corps, m’embrouillai dans mon compliment mais les élytres s’agitèrent gracieusement pour me manifester la satisfaction de leur propriétaire. Bientôt une jeune personne dont j’appris au fil des plats qu’elle répondait au nom de Plume ouvrit les portes de la salle à manger pour annoncer que Madame était servie.

    On quitta l’Empire pour une salle à manger aux meubles clairs ; deux portes fenêtres encadrées de rideaux fleuris ouvraient sur les beaux arbres du parc. Nappe damassée, couverts d’argent, verres et flutes de cristal, un bouquet de petites roses blanches en centre de table, tout cela était exquis. Le coléoptère annonça que l’on déjeunerait à la bonne franquette, en famille ( voyez vous, mon mari et moi nous aimons la simplicité). Ils avaient la simplicité fastueuse. On commença par des fruits de mer, huitres, pattes de crabe, langoustines arrosés de champagne. Quand vinrent les magrets de canard, Saint-Mont fit un signe à Plume et, pendant qu’elle remplissait sa flute se tourna vers moi: «Ah, mon cher Jean-Louis ! ma femme et moi ne buvons, pour déjeuner comme pour diner, que du champagne, mais j’ai en cave d’excellents vins rouges ! Un bourgogne vous ferait-il plaisir ? » Je déclinais et suivis le simplissime exemple familial : un déjeuner au champagne n’était pas pour me déplaire. J’eus tout de même la mesquinerie d’un rapide calcul : on devait boire à cette table, en vin de Champagne, chaque mois, l’équivalent de mon salaire…

    Vint le moment d’inscrire au menu la raison même de ma venue. D’un geste Simone Saint-Mont avait demandé à Plume de débarrasser le magret et d’apporter la salade et les fromages. (Non, non, laissez, Plume, laissez le plateau sur la table, nous nous servirons…et, avec un sourire vers moi : nous sommes entre nous…).

    « Voyons, voyons…Parlons-en, Mmmm, parlons-en ! (Saint-Mont s’essuya la bouche) oui, parlons de ce qui nous réunit aujourd’hui, mon cher Jean-Louis. C’est bien inutile d’attendre le café, Madame Saint-Mont s’intéresse autant que nous à cette affaire, n’est-ce pas, Simone ? Je me rends bien compte que les choses ne sont pas faciles entre Grondin, votre rédacteur en chef, et vous (il prit cet air d’aimable inquisition qui envoie la balle dans le camp adverse)…

    -- Hé bien, Président, c’est en effet une situation qui ne peut perdurer ; elle rend la vie difficile entre les journalistes et la hiérarchie, crée des ambiguïtés, des faux-pas et pour dire vrai, je ne crois pas exagérer en disant qu’elle met en péril la survie de nos journaux… je veux dire de vos journaux, bien sûr !

    — Comme vous y allez, mon cher ! Comme vous y allez ! Albert Grondin, n’est tout de même pas si mauvais…C’est un polytechnicien, oui, un polytechnicien ! il est sorti du rang en très bonne place !

    — Certes, Monsieur Grondin est sans aucun doute un excellent ingénieur, mais ce dont nous avons besoin, c’est d’un journaliste. De quelqu’un qui sache ce qu’est une ligne éditoriale, un chapeau, un article ; de quelqu’un, enfin, qui sache trouver le meilleur auteur pour un sujet donné ; et puis, pour dire vrai, Président, de quelqu’un qui ait une plume ! Il faut savoir écrire un édito, reprendre un titre…

    — Mais, mon cher Jean-Louis, vous faites tout cela très bien…

    — Merci, Président, mais je le ferais d’autant mieux que j’aurais les coudées franches, que je n’aurais plus à hésiter, à me demander : est-ce que cela conviendra à Grondin ? Faudrait-il le tourner autrement ? Est-ce le bon choix ? Et tout cela sans réponse jamais !

    — Ce que vous faites est bien fait. Oubliez Albert, laissez-le à ses occupations ! Vous n’avez, en fait, à rendre compte que devant moi. Quant à moi, Je dois composer avec le talent, c’est-à-dire vous, et la stratégie. L’intérêt que présente Albert Grondin est d’être polytechnicien et je veux que son nom figure en tête de l’ours dans nos journaux : Albert Grondin, Polytechnicien, rédacteur en chef : cela donne du poids, de la crédibilité, du prestige à nos journaux ! Que diable ! C’est beaucoup mieux que, je ne sais pas moi : Pierre Dupont, rédacteur en chef…

    — Ou Jean-Louis Lorient, rédacteur en chef, je comprends, Président…

    — Allons Jean-Louis ! Je vous en prie, ne vous fâchez pas : vous avez ma confiance et vous êtes de fait le rédacteur en chef…

    À ce moment, Simone Saint-Mont qui épluchait une mangue avec grand soin inclina sa tête vers son épaule droite tout en l’avançant vers son mari :

    — Hé bien, Raoul, pourquoi ne pas dire tout simplement à notre ami qu’Albert est mon neveu ?

     


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  • par Nadine Foissotte

    14 Janvier 2015 à 18:49

     

    Novembre n’a pas encore achevé sa métamorphose automnale que déjà il enfile sa pèlerine de neige, telle une moelleuse fourrure qui embellit les épineux et habille richement arbustes et ramures.

    Le temps s’est immobilisé. Le silence s’empare du jardin et de la rue. Le moindre bruit est filtré par le tapis scintillant qui recouvre rapidement pelouses et chaussées. De nos maisons bien chauffées, derrière les fenêtres bien fermées, sans lassitude, nous accompagnons des yeux les vagues successives de flocons ouatés que le ciel nous déverse à intervalles irréguliers.

    Nos esprits s’apaisent et l’existence nous semble plus harmonieuse, plus douce.

     

    Il neige ! Il neige !

     

    Comme par enchantement, une joie enfantine nous envahit. Le sourire aux lèvres, le regard tourné vers le ciel, tout excités et joyeux de cette blanche bénédiction venue du firmament, nous espérons ardemment que l’émerveillement ressenti par cette giboulée mousseuse ne s’arrête pas.

    La blancheur immaculée nous annonce Noël et son cortège de fêtes et de lumières, ses parfums de résine et de chocolat, ses bruissements de papiers colorés et brillants. Noël, les yeux des enfants illuminés par la joie d’être en vacances et par la perspective des cadeaux convoités. Noël et l’irremplaçable présence des êtres chers enfin réunis autour du sapin et d’une belle et bonne table.

    Enfin au blanc s’adjoint le rouge, le rouge du Père Noël et des boules de houx dont on décore nos maisons, le rouge des braises au fond de l’âtre qui réchauffe nos âmes et fait griller les marrons, le rouge des joues rebondies des enfants jouant et s’amusant dans la neige.

    Quelques heures, quelques jours de cette tranquille torpeur où nous prenons plaisir à nous détendre. Le rythme s’est ralenti. Puis, le froid s’obstine, les routes enneigées nous empêchent de circuler, certains ne peuvent travailler, les chemins givrés et glissants contraignent les autres à l’isolement. Bientôt la neige salie nous fait bougonner, le froid pénétrant provoque rhumes et autres désagréments. Et nous voilà bientôt guettant la météo, espérant un réchauffement.

    Oubliés ces petits instants de bonheur, envolés ces moments de plénitude intense. Absorbés par notre routine quotidienne, nous négligeons souvent de profiter des merveilles que la nature nous propose : une pluie d’automne sur les arbres parés de leurs chaudes couleurs, le renouveau du soleil sur les timides violettes au parfum si enivrant, l’air chaud et ressourçant du soleil d’août sur nos peaux dénudées.

     

    Alors, rêvons à la prochaine chute de neige.


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